Grand lecteur d'ouvrages sur la photographie, admirateur de Jean-Luc Godard et de Jean-Pierre Gorin, Sekula se dit alors influencé à la fois par Duchamp et par Marx[3]. Il commence à utiliser la photographie pour des pièces performatives en 1971, des photos depuis un train longeant une usine de produits chimiques où il a travaillé, ou documentant un vol de steaks surgelés qu’il jette sur l'autoroute (Meat Mass, 1972). Ces actions se destinent à « provoquer des conflits avec de grands systèmes techniques et économiques » et débutent ainsi un travail critique approfondi des mécanismes du capitalisme. Les documents seront bientôt pour lui plus important que les actions mêmes, et son intérêt se porte de plus en plus sur la photographie. Au contraire des différentes tendances - l'art conceptuel, le modernisme - qui intègrent la photographie dans le système et le marché de l'art au prix de son caractère social et politique, Sekula a toujours revendiqué l'impureté fondamentale du médium. Elle est pour lui un outil de description insuffisant à décrire entièrement ce qu'elle montre, et par conséquent son œuvre revendique la dépendance de l'image à l'égard de son contexte. Dans Dismantling Modernism (Défaire le modernisme), il théorise cette position à partir d'œuvres d'artistes qui lui étaient proches à ses débuts, comme Martha Rosler, Fred Lonidier et Phil Steinmetz.
Ses critiques de l'exploitation, du monde du travail et de l'éducation, s'appuient sur sa propre expérience et différents boulots alimentaires - dans un restaurant, un laboratoire scientifique, en tant que conférencier sur l'art. Untitled Slide Sequence (1972) est une révision critique de la "scène primitive" du cinéma, la sortie d'usine à un rythme ultra rapide filmée par les Frères Lumière. Sekula photographie en une séquence la sortie des employés d'une usine d'aéronautique (en pleine guerre du Viêt Nam)[3], à laquelle l'intervention de la sécurité de l'usine met fin, et il en constitue un diaporama de 25 images, devenu en 2011 un tirage papier.
Pour Sekula, la photographie et le film produisent du sens et du langage. Et l’image s’articule dans son travail à différents textes – dialogues enregistrés, citations, écrits. Aerospace Folkstales (1973), est une œuvre à caractère autobiographique « sur l'armée de réserve du travail », où il analyse les différentes pressions qui s'exercent sur les membres de la société dans le travail comme dans la vie domestique. Il y articule l'image à différents textes – dialogues enregistrés, citations, écrits. Sekula a qualifié ce stade de sa démarche de stratégie du film en pièces détachées (disassembled movie). Son enquête la plus extensive, Fish Story (1989-1995), explore un espace absent de l’attention médiatique : le monde de la mer, en se tenant éloigné du pittoresque[4]. On peut y relier d’autres ensembles comme Black Tide/Marea Negra (2002-2003), un essai photographique sur le naufrage du Prestige sur les côtes espagnoles ou The Docker’s Museum, une collection d’objets et d’images attachés à l’univers de la mer rassemblée par l’artiste. Des films comme Lottery of the Sea (2010) et celui réalisé en 2011 avec Noël Burch, The Forgotten Space, prolongent ce travail d'investigation à long terme des coulisses de la globalisation[5].
Allan Sekula meurt le à Los Angeles des suites d’un cancer de l’œsophage[6]. Allan Sekula partageait la vie de Sally Stein, historienne de la photographie[7]. Celle-ci fera don de la bibliothèque de l'artiste, comportant 15 000 volumes, à la bibliothèque du Clark Art Institute[8].
Bibliographie
Un recueil de ses premiers textes sur la photographie vient d'être publié en traduction française aux éditions des beaux arts de Paris, Essais sur la photographie, édité par Marie Muracciole (Ensba, ).
Également en français : Titanic's Wakes, éditions du Point du Jour, 2003.
Fish Story, version française éditée par le musée des beaux arts et de la dentelle de Calais, 1995.
Expositions
2013 Mécaniques des fluides, group show (cur. Marie Muracciole) Gallery Cécile Fakhoury (Abidjan)
2013 This ain’t China, solo show (cur. Bill Jeffries), Simon Fraser University Gallery Vancouver, Canada
2013 Critical Episodes (1957-2011), group show, Barcelone, Espagne
2010 Les Rencontres d’Arte Contemporain, La Chantrerie, Cahors, France
2010 En cada instante, ruptura, Sala de Arte Publico Siqueiros, Mexico City, Mexico
2010 Ship of Fools, 29th Biennial de São Paulo, São Paulo, Brésil
2010 The Image In Question. War-Media-Art, Carpenter Center for Visual Arts, Université Harvard, Cambridge, Massachusetts
2010 Taipei Biennial 2010, Taipei Fine Arts Museum, Taipei, Taiwan
2010 This Ain’t China, e-flux, New York, New York
2010 Allan Sekula: Polonia and Other Fables, Ludwig Museum, Budapest, Hongrie
2010 Ship of Fools, Museum van Hedendaagse Kunst Antwerpen, Antwerp, Belgique
2010 Media City Seoul 2010, The 6th Seoul International Biennale of Media Art, Seoul, Corée
2010 Nether Land, Witte de With Center for Contemporary Art at the Dutch Cultural Center, Shanghai, Chine
2010 How Many Billboards?, MAK Center, Los Angeles, California2010 “…In A Most Dangerous Manner”, SPACES Gallery, Cleveland, Ohio
2010 Global Design, Museum für gestaltung, Zurich, Suisse
2010 Berlin-Paris Un échange de Galeries - galerie Michel Rein@Carlier I Gebauer, Berlin, Allemagne
2010 Les Tubes, group show, Le Quai, Angers, France
2010 European Cross-curating, station 2 (cur. JÜrgen Bock), artist residency and solo show in 2011, La Criée, Centre d'Art Contemporain, Rennes, France (solo)
↑Jean-Paul Engélibert, « Des photographies critiques ? Arrêts sur image chez Guillaume Herbaut, Sebastiao Salgado et Allan Sekula », Fabula / Les colloques,