Un amas coquillier, amas de coquilles, colline de coquillages ou køkkenmødding (mot danois désignant un monticule de déchets de cuisines, les archéologues au Danemark ayant particulièrement étudié cette caractéristique essentielle des cultures mésolithiques installées le long des littoraux), est une accumulation de coquilles de mollusques parfois associées à d'autres restes liés à l'activité humaine (arêtes de poissons, exosquelette de crustacés et autres ossements animaux, restes végétaux, excréments humains, tessons de poterie et éléments lithiques). Ce dépotoir anthropique contient les restes des repas et autres déchets des habitants de certains sites, occupés parfois sur de très longues périodes. Les amas prennent des formes (fosse, lit, colline) et des volumes très variables (certains peuvent avoir une épaisseur de plusieurs mètres) selon les régions et les périodes observées.
La dissolution partielle des coquilles libère du carbonate de calcium qui tamponne l'acidité des sols, ce qui autorise une meilleure préservation des restes organiques (notamment les ossements animaux) piégés dans les amas et qui sont habituellement désagrégés au cours du temps. Ces dispositions favorables expliquent l'intérêt de ces unités sédimentaires auprès des archéologues car elles fournissent des informations précieuses sur l'organisation économique et sociale, les modes de vie, les habitudes alimentaires et les pratiques culturelles des populations anciennes (rituels, pratiques funéraires lorsqu'elle enterrent leurs morts dans ces dépôts coquilliers), la productivité des écosystèmes exploités[1].
Dénomination et diversité régionale
Retrouvées dans toutes les régions du monde, ces accumulations sont désignées localement par différents termes, parfois liés à certaines spécificités[2] :
dans les régions du nord de l'Europe, et particulièrement au Danemark, on les nomme « køkkenmødding » ou « kjökkenmödding[3] », mot danois qui signifie littéralement « dépotoir de cuisine ». Le mot a été emprunté en suédois et en norvégien sous les formes respectives de « kökkenmödding » et « kjøkkenmødding ».
L'étude archéologique des amas coquilliers débuta au Danemark dans la seconde moitié du XIXe siècle[4], ce qui a valu au mot « køkkenmødding » sa réputation internationale.
Les chercheurs anglophones leur réservent les noms de « kitchen midden », « shell midden » ou « shell mound ».
Cerains archéologues francophones ont parlent d’« escargotière[5] ».
Les amas coquilliers du Japon sont appelés « kaizuka » (貝塚)[6],[7].
Ces noms différents recouvrent une réalité en partie similaire, mais les différences régionales doivent être soulignées, car leur étude est au cœur de la recherche archéologique pour reconstituer les modes de vie et l'environnement des populations qui ont formé ces amas[8]. L'apparition et le développement des amas coquilliers sont aussi marqués par ces diversités géographiques. Ainsi, les amas les plus anciens apparaissent en Espagne cantabrique au Paléolithique supérieur. Au Mésolithique, les amas et les dépôts coquilliers se multiplient, mais toujours avec des contrastes régionaux : en Scandinavie, les premiers køkkenmøddinger datent du début du Mésolithique, tandis qu'au Portugal les concheiros n'apparaissent qu'à la fin du Mésolithique[7]. Au Japon, les premiers amas coquilliers connus remontent au VIIIe millénaire av. J.-C.[9].
Les kjökkenmöddings au Danemark
Vers 1848, la Société royale des sciences du Danemark nomme une commission comprenant MM. Forchhammer, Worsaae et Steenstrup, pour étudier les kjökkenmöddings[3]. Cette commission détermine que toutes les coquilles proviennent de coquillages comestibles et seulement d'individus adultes, avec un mélange d'espèces vivant dans des habitats différents ; les amas comprennent aussi des vertèbres de poissons[10], des os d'oiseaux (surtout palmipèdes et échassiers, plus des coqs de bruyère), de nombreux os de mammifères (cerf, chevreuil, sanglier[11] et dans une moindre mesure de l'auroch). Il n'y a pas de renne ni d'élan, pourtant fréquents dans les tourbières, ni de mammouth. S'y trouvent aussi des vestiges de carnivores : chien, renard, martre, loutre, grand phoque, rares vestiges de loup ; et trois carnivores disparus du pays : chat sauvage, lynx et ours noir. Enfin s'y trouvent aussi marsouin, castor, hérisson et rat d'eau[12]. Dans toutes les parties de tous les amas[13], tous les os de mammifères ont été rongés par un carnivore et il n'en reste que les parties les plus dures[14].
↑Grégor Marchand, « Singuliers amas », dans Julien d'Huy, Frédérique Duquesnoy, Patrice Lajoye, Le gai sçavoir: Mélanges en hommage à Jean-Loïc Le Quellec, Archaeopress Publishing Ltd, (lire en ligne), p. 172-181.
↑[Bailey, Hardy & Camara 2013] (en) Geoffrey N. Bailey, Karen Hardy et Abdoulaye Camara (dir.), Shell Energy: Mollusc Shells as Coastal Resources, Oxford, Oxbow Book, , 326 p. (ISBN978-1-84217-765-5, présentation en ligne).
↑Max Escalon de Fonton, « Tour d'horizon de la préhistoire provençale », Bulletin de la Société préhistorique française, vol. 51, no 1, , p. 81-96 (DOI10.3406/bspf.1954.12431, lire en ligne, consulté le ).
↑[Figuti 1992] Levy Figuti, « Poissons, coquillages et Préhistoire », Dossiers d'archéologie, no 169 « Le Brésil », , p. 24-29 (présentation en ligne).
↑ a et b[Leroi-Gourhan 1988 (posth.)] André Leroi-Gourhan, Dictionnaire de la Préhistoire, Paris, éd. PUF, , p. 36.
↑[Kneip 1992] L.-M. Kneip, « Les sambaquis du littoral brésilien », Dossiers d'archéologie, no 169 « Le Brésil », , p. 22-23 (présentation en ligne).
↑Pierre-François Souyri et Laurent Nespoulous, Le Japon ancien : des chasseurs-cueilleurs à Heian (- 36 000 à l'an mille), Belin, coll. « Mondes anciens », (ISBN978-2410015690), chap. 2 (« La longue période Jômon »), p. 56-60.
[Dupont 2003] Catherine Dupont, « Les coquillages alimentaires des dépôts et amas coquilliers du Mésolithique récent/final de la façade atlantique de la France », Préhistoires méditerranéennes, no 12, , p. 221-238 (lire en ligne [sur journals.openedition.org]).
[Steenstrup 1875] Japetus Steenstrup, « Communication à la séance du mercredi 1er septembre », Compte-rendu du Congrès international d'anthropologie et d'archéologie préhistoriques, Copenhague, 1869, 4e session, Copenhague, impr. de Thiele, , p. 135-153 (lire en ligne [sur gallica]).