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Le mot « conditionnel » est aussi entré dans la dénomination de tiroirs verbaux qui, dans certaines langues, ne sont pas exclusivement employés dans des phrases conditionnelles. À ce titre, le tiroir verbal du conditionnel présent de la langue française a été appelé un « soi-disant conditionnel[1],[2],[3] » en raison du fait qu'il n'est morphologiquement pas autre chose qu'un futur du passé[2] (voir infra) employé dans la construction conditionnelle française qui associe la conjonction « si », un verbe à l'imparfait (ou au passé simple plus rarement) et un verbe conjugué au futur du passé (par exemple, « si tu venais plus souvent, je serais heureux »). Le conditionnel passé « 1re forme »[4] de la langue française est pareillement un futur antérieur du passé employé dans une construction conditionnelle (« si j'avais su, j'aurais voté pour lui », ou, avec une protase sous-entendue, « j'aurais voulu parcourir le monde »), et est parfois remplacé par un conditionnel passé « 2e forme ».
Les formes du conditionnel en français
Le conditionnel en français comporte trois temps, dont les formes sont tirées de temps d'autres modes :
un temps du présent
conditionnel présent formé sur la base du futur simple mais avec les terminaisons de l'imparfait. Les irrégularités et les exceptions du futur sont donc répercutées (ex : verbe manger, je manger-ai au futur et je mangeai-s à l'imparfait, soit je manger-ai-s au conditionnel présent)
deux temps du passé, considérés comme équivalents en nuance
conditionnel passé 1re forme (ex : verbe manger, j'aurais mangé), constitué de l'auxiliaire au conditionnel présent et du participe passé du verbe ;
conditionnel passé 2e forme (ex : verbe manger, j'eusse mangé), qui peut apparaître comme expression du mode conditionnel dans des textes anciens ou littéraires;
Morphologie
Dans la plupart des langues romanes, futur et conditionnel se sont formés à partir d'une périphrase composée de l'infinitif du verbe concerné et de l'auxiliaire avoir conjugué au présent (pour le futur) ou à l'imparfait (pour le conditionnel). Soit, pour le verbe cantare, les formes *cantare habeo et *cantare habebam (j'ai pour destin de chanter, j'avais pour destin de chanter). On suppose que cette tendance à la périphrase, déjà présente en latin classique, s'est imposée lorsque le futur, malmené par l'évolution phonétique, devenait de moins en moins discernable. Quant au conditionnel, il n'existait pas en latin. On peut remarquer que l'usage de futurs périphrastiques est une constante de la langue, et que des formes telles que « je vais partir » ou « je dois partir » sont fréquemment utilisées dans le langage courant.
Fait soumis à une condition
C'est cet emploi qui a valu au conditionnel son nom. Les exemples suivants sont appelés par les grammaires traditionnelles potentiel, irréel du présent et irréel du passé, selon un schéma calqué sur le latin :
Potentiel : « Si tu venais demain, je serais content. » (sous-entendu : tu as encore le temps de venir)
Irréel du présent : « Si tu venais aujourd'hui, je serais content. » (sous-entendu : tu es trop loin pour venir rapidement)
Irréel du passé : « Si tu étais venu hier, j'aurais été content. » (sous-entendu : tu n'es pas venu de toute façon).
On note qu'en français, au contraire du latin, il n'existe aucune distinction morphologique entre le potentiel et l'irréel du présent : la différence est sémantique et se fait grâce au contexte.
On peut également traduire certaines clauses conditionnelles par le futur de l'indicatif ; on parle de futur à valeur modale de conditionnel ou hypothétique :
Hypothétique : « Si tu viens demain, je serai content. »
Expression d'une hypothèse
Une valeur propre au conditionnel, mais aussi au futur antérieur. Dans le premier cas on a affaire à une hypothèse fréquemment employée par les journalistes pour bien montrer qu'ils ne reprennent pas à leur compte le fait qu'ils citent (procédé de modalisation). Dans le second cas, il s'agit souvent de se rassurer en transformant une hypothèse en quasi-certitude :
« Le voleur se serait caché dans les bois environnants ; il aurait entendu la police arriver. » (conditionnel)
« Jean-Pierre est en retard ; il aura sans doute été retardé par les embouteillages. » (futur antérieur)
L'usage fait par les journalistes a débouché sur l'expression désignant une information incertaine « une information à mettre au conditionnel » (on la trouve dans la chanson Au conditionnel du disque Archie Kramer de Matmatah).
Expression de l'imaginaire
Là encore, futur et conditionnel peuvent être mis en parallèle. Par exemple dans ce jeu enfantin, le futur indique comment va se réaliser le jeu, tandis que le conditionnel expose quelles pourraient être les conditions de ce jeu :
« Moi je serai le docteur et toi tu seras la malade. » (futur)
« Moi je serais le docteur et toi tu serais la malade. » (conditionnel)
Le conditionnel traduit ici la constitution d'une actualité autre, une actualité ludique (c'est pour cette raison que le conditionnel, dans ces conditions d'emploi, est d'ordinaire appelé "conditionnel ludique"), ou une demande implicite de l'accord de la partenaire. On peut donc l'interpréter comme un passage dans un espace mental parallèle, celui du jeu, distinct du monde réel (de même que Il était une fois signale le passage dans le monde du merveilleux).
Demande/politesse
On a affaire à des tournures utilisant les verbes pouvoir ou vouloir comme semi-auxiliaires. Ce genre de phrase peut faire usage du présent, du futur ou du conditionnel, tout étant une affaire de nuances :
“Pouvez-vous m'indiquer la rémunération de ce poste ?”(présent)
<Pourrez-vous m'indiquer la rémunération de ce poste ? >(futur)
<Pourriez-vous m'indiquer la rémunération de ce poste ? > (conditionnel)
Le conditionnel apporte un degré de politesse de plus par rapport au futur, lui-même plus ferme et moins soumis que le conditionnel mais plus poli que le présent.
L'expression du futur
Dans le discours indirect, la concordance des temps impose que, lorsque la principale est à un temps du passé, le conditionnel présent se substitue au futur (on parle de futur dans le passé). Ainsi la phrase :
« Dès qu'il ne pleuvra plus, j'irai chercher des champignons. »
devient, dans un récit au discours indirect au présent :
« Jacques annonce que, dès qu'il ne pleuvra plus, il ira chercher des champignons. »
mais devient, au passé :
« Jacques annonça que, dès qu'il ne pleuvrait plus, il irait chercher des champignons. »
Cette valeur du conditionnel est essentielle, car c'est certainement la plus fréquente dans les textes écrits, qu'on utilise le discours indirect ou le discours indirect libre. Le conditionnel y joue le rôle de futur par rapport au passé, tout à fait conforme à sa morphologie. Cet emploi pousse certains linguistes (mais ce point est très disputé) à considérer le conditionnel comme un temps de l'indicatif (voir plus loin Mode ou temps ?)[5].
Dans un récit dont le temps de narration est au passé, le conditionnel exprime un procès futur par rapport à celui exprimé par le verbe au temps de narration :
« Justine avait étalé ses plus beaux vêtements sur son lit. Elle réfléchit longtemps avant de choisir la tenue qu'elle porterait dimanche. »
Le conditionnel dans d'autres langues
Conjugaison du verbe chanter au conditionnel présent en français et dans quelques autres langues européennes :
Français Conditionnel présent chanter
Italien Condizionale presente cantare
Espagnol Condicional presente cantar
Portugais Condicional simples cantar
Roumain Condițional prezent a cânta
Anglais Conditional present to sing
Allemand Konjunktiv Präsens singen
je chanterais
io canterei
yo cantaría
eu cantaria
eu aș cânta
I would sing
ich sänge / würde singen
tu chanterais
tu canteresti
tú cantarías
tu cantarias
tu ai cânta
you would sing
du sängest / würdest singen
il/elle chanterait
egli/ella canterebbe
él/ella cantaría
ele/ela/você cantaria
el/ea ar cânta
he/she/it would sing
er/sie/es sänge / würde singen
nous chanterions
noi canteremmo
nosotros cantaríamos
nós cantaríamos
noi am cânta
we would sing
wir sängen / würden singen
vous chanteriez
voi cantereste
vosotros cantaríais
vós cantaríeis
voi ați cânta
you would sing
ihr sänget / würdet singen
ils/elles chanteraient
essi/esse canterebbero
ellos/ellas cantarían
eles/elas/vocês cantariam
ei/ele ar cânta
they would sing
sie/Sie(*) sängen / würden singen
(*) En allemand, le pronom personnel "sie" correspond à "ils" ou "elles" en français, alors que "Sie" correspond à la forme de politesse.
En russe, le conditionnel présent se forme à partir du temps passé auquel on adjoint la particule бы :
Я пел бы (ja pjel by, masculin) / Я пела бы (ja pjela by, féminin) : « je chanterais ».
En espéranto, le conditionnel se forme par la terminaison -us pour tous les verbes et toutes les personnes.
Mode ou temps ?
Selon Maurice Grevisse[6], « les linguistes s'accordent aujourd'hui pour ranger (le conditionnel) parmi les temps de l'indicatif, comme un futur particulier, futur dans le passé ou futur hypothétique ».
Le terme même de conditionnel est contesté à cause des nombreux usages autres que le fait soumis à une condition.
Le conditionnel a longtemps été considéré par les grammaires traditionnelles et scolaires comme un mode, il a en effet autant d'emplois modaux que d'emplois temporels. Cependant, dans la langue française tout au moins, sa morphologie (il se forme exclusivement à partir de marques temporelles, celles du futur et de l'imparfait) et ses divers emplois montrent que tous ses usages sont aussi valables, à une nuance de sens près, pour le futur simple, temps de l'indicatif. Dans ces conditions, il est malaisé d'en faire un mode, ou bien il faudrait envisager un mode incluant à la fois conditionnel et futur (solution proposée par Henri Yvon, qui appelait ce mode suppositif). D'ailleurs le conditionnel à sens futur a été classé par certains linguistes comme un cinquième temps de l'indicatif, le conditionnel-temps. Cela amènerait donc à placer le futur et le conditionnel dans deux modes à la fois, à cause de leurs différents usages.
Autre solution : considérer que le futur et le conditionnel sont tous deux des temps de l'indicatif. C'est ce que proposait le linguiste Gustave Guillaume, qui suggérait d'appeler le premier futur catégorique et le second futur hypothétique. Cela éviterait de dupliquer un temps en le faisant apparaître dans deux modes. Des conditions morphologiques peuvent appuyer cette proposition (similarité étroite entre les formes du futur simple et du conditionnel présent).
Notes et références
Notes
↑Par exemple, en azéri : Çox pul qazansam, bir ev alaram. — [Si je] gagnais beaucoup d'argent, j'achèterais une maison.
↑Par exemple, en finnois : Ostaisin talon, jos ansaitsisin paljon rahaa. — [J']achèterais une maison si [je] gagnais beaucoup d'argent.
Références
↑Aug. Scheler, Mémoire sur la conjugaison française considérée sous le rapport étymologique, (lire en ligne), p. 17.
↑ a et bA. Rogge, Étude sur l'emploi qu'on fait en français des temps et des modes dans les phrases hypothétiques, (lire en ligne).
↑Fréd. Guillaume Wolper, Étude sur le conditionnel, (lire en ligne).
↑Albert Hamon, grammaire française : classe de 4e et classes suivantes, classiques Hachette, , 319 p.