Son implication dans la planification stratégique des raids menés par les Boeing B-29 Superfortress de la 20th USAAF au départ des Mariannes fut décisive pour réduire le potentiel industriel permettant au Japon impérial de régénérer ses arsenaux. Face à un phénomène naturel connu sous le nom de « courant-jet » (jet stream en anglais) dans la troposphère et rencontré par les avions à haute altitude, les tapis de bombes larguées manquaient leur cible. Curtis LeMay compensa, sur le plan tactique, cette déficience technique non prévue par les concepteurs de l’avion en recommandant aux pilotes réunis en briefing, à leur grande stupéfaction[1], de voler à basse altitude la nuit sur les villes japonaises, afin de larguer leurs bombes incendiaires. Ce mode opératoire était déjà privilégié par la RAF en Europe mais ne faisait pas partie de la stratégie de l'USAAF.
Le bombardement de Tōkyō durant la nuit du 9 au 10 mars 1945, mené par 334 bombardiers B-29 opérant par vagues, fut d’une ampleur sans précédent. Les bombes au napalm déclenchèrent un incendie qui ravagea un tiers de la ville, puisque les usines d’armement se trouvaient au milieu des habitations construites en bois. Quelques quartiers et le palais impérial échappèrent à ce bombardement majeur, qui causa environ 100 000 morts. En survolant les brasiers, le général LeMay lança : « Nous ramènerons le Japon à l'âge de pierre »[2]. Un militaire d'alors qualifie l'opération comme « l’un des massacres les plus impitoyables et barbares de non-combattants de toute l’histoire[3] ».
Le cap des pertes humaines étant passé, ce bombardement ouvrit, dans l’esprit des dirigeants américains, la perspective de l’emploi de l’arme atomique sur des villes moins peuplées.
Interrogé après-guerre sur la dimension morale liée à la planification du bombardement stratégique qu’il avait organisée, le général LeMay répondit de manière laconique sur la nécessité de lier les objectifs aux opérations lors d’un conflit d’une telle ampleur[4].
Mais selon son subordonné Robert McNamara, Curtis LeMay disait que si les États-Unis avaient perdu la guerre, lui-même aurait été poursuivi comme criminel de guerre[5].
Il organise ensuite le Strategic Air Command (instance suprême de commandement des forces aériennes stratégiques aux États-Unis d'Amérique) à partir du en prévision d’une guerre nucléaire durant la guerre froide. La taille de ce commandement est multipliée par cinq sous l’ère LeMay, passant de 51 000 à 278 000 personnes, et il transforme un commandement en piteux état en un outil extrêmement puissant, doté d'une terrifiante capacité de destruction.
Lorsqu’il quitte le SAC en juin 1957, il devient sous-chef d'état-major de l’USAF avant de devenir chef d'état-major entre le et son départ à la retraite le .
Il est connu pour ses positions bellicistes qui tendaient à aggraver les tensions lors de graves crises internationales, telles que le blocus de Berlin, en 1948-1949. Il recommanda l’usage de l’arme nucléaire contre l’Union soviétique, ou lors de la crise des missiles de Cuba, en 1962, durant laquelle il fut partisan de l’invasion de l’île. D’après Robert McNamara[6], LeMay était convaincu qu’une guerre nucléaire allait de toute façon avoir lieu et que, dans ces conditions, il fallait veiller à ce que ce soient les États-Unis qui frappent les premiers.
Une paralysie faciale avait définitivement figé la moitié gauche de son visage et l'empêchait de sourire, ce qui est à l'origine de sa réputation de froideur excessive. Attentif au bien-être des personnels dont il avait le commandement, terriblement exigeant mais à l'écoute de ses hommes, son caractère lui valut la loyauté et le sens du sacrifice de ses subordonnés[7].
Plusieurs articles ont souligné que Stanley Kubrick se serait largement inspiré d’attitudes et de déclarations de Curtis LeMay pour créer le personnage du général Turgidson, incarné par George C. Scott dans le film Docteur Folamour (Dr. Strangelove). Responsable du déploiement de la force de frappe de l’USAF (United States Air Force), LeMay organisa et fit mener, à l’insu du président, des incursions dans l'espace aérien soviétique pour étayer ses théories et convaincre, par la logique du fait accompli, les décideurs politiques.