Le différentialisme est un mouvement de pensée naturaliste. Certains détracteurs considèrent que le différentialisme est par principe essentialiste.
Le différentialisme considère qu'il existe une différence de nature entre des groupes : de sexes, de races, de peuple, d'espèces (spécisme), etc. De cette présupposition découle la considération et le traitement des êtres d'abord en fonction de leur appartenance (réelle ou supposée) à un groupe et non en fonction de leurs traits individuels et avérés.
Selon Pierre Tevanian, dans La Mécanique raciste (page 13), « Ce terme désigne toutes les idéologies qui se fondent sur des différences réelles ou imaginaires pour justifier une différence dans les droits reconnus aux uns et aux autres. Le discours différentialiste se présente toujours comme la valorisation d'une différence (par exemple la différence des sexes, ou la différence culturelle) et comme la volonté de la “préserver”. »
« Les féministes différentialistes postulent une différence de nature entre le masculin et le féminin[1]. »
Il existerait donc une essence féminine dont découleraient des caractères féminins spécifiques et innés (des comportements féminins, une écriture féminine) et qui justifierait certaines différences de traitement entre les sexes. Appelées parfois « essentialistes » (surtout par leurs détracteurs), les féministes différentialistes revendiquent donc « l’égalité dans la différence ». Ce courant se développe aux États-Unis notamment à travers les départements universitaires de Women’s studies. Parmi les idées avancées, il y a entre autres l’existence d’un matriarcat aux origines et la volonté de créer une société gynocentrique. Pour Germaine Greer, avec La Femme eunuque en 1970 et La Femme complète en 2002, la reconnaissance des différences biologiques est une nécessité qui devrait être replacée au cœur des luttes féministes, l'égalitarisme s'inscrivant dans des modèles purement masculins et se faisant en réalité au détriment des femmes[2]. La position de Germaine Greer fait écho à la position du Mouvement de libération des femmes, en 1971. À l'occasion d'une manifestation pour la liberté de l'avortement, celles-ci revendiquent dans un tract[3] :
« Nous luttons pour obtenir l’avortement et la contraception libres et gratuits ; mais ce n’est qu’une étape dans la lutte pour notre libération. Pourquoi ? … Nous aurons les enfants que nous voudrons, mais nous serons encore seules à nous en occuper. […] Nous ne voulons pas de l’égalité de pouvoir avec l’homme, égalité de salaires ou de comportement, en nous coulant dans les moules préfabriqués du système capitaliste. Nous voulons le changer radicalement pour exister en tant que femmes. »
— Mouvement de libération des femmes - Mouvement pour la liberté de l’avortement
Certains de ses leaders, telle l’Américaine Kate Millett connaîtront une grande notoriété, mais
ce courant a en fait rapidement perdu de son audience et reste aujourd’hui cantonné à quelques
féministes « radicales » (majoritairement anglo-saxonnes). (Kinga Igloi et Irène Favier, 2005).[source insuffisante]
« L'égalité dans la différence »
L'expression égalité dans la différence est emblématique du féminisme différentialiste.
L'ethno-différentialisme manie plus volontiers l'expression droit à la différence. Il faut comprendre la première comme l'égalité des droits dans la différence entre les groupes. La seconde évoque également la différence entre les groupes. En effet la différence mise en avant par toute forme de différentialisme est celle observable entre les groupes et non entre les personnes. C'est d'ailleurs lorsqu'un trait est suffisamment uniforme au sein d'un groupe que la différence avec un autre groupe peut être pointée. La différence entre des groupes est en même temps une conformité, une non-différence, au sein de chaque groupe.
Le plus souvent, l'emploi du mot différence sert à désigner la différence entre les groupes plutôt que la différence inter-individuelle. C'est un choix contingent et arbitraire. L'habitude ayant été prise, il faut comprendre « l'égalité dans la différence » ou « le droit à la différence » comme celle entre les groupes, à moins d'une stipulation contraire.
En outre, il faut savoir que cette différence entre les groupes est bien souvent une différence entre la moyenne de chaque groupe. Si le groupe A est censé avoir le trait T plus développé que le groupe B, il peut exister un individu du groupe A moins T qu'un individu ou la moyenne du groupe B. La différence en question est donc statistique.
Le différentialisme met en avant une différence qui est en fait une conformité au sein de chaque groupe et une négation du droit à cette même différence entre les membres assignés dans un même groupe.
Se réclamer de « la différence » permet au différentialisme d'accuser ceux qui cherche à le contester de tendre, volontairement ou non, à l'uniformisation. Pourtant, la critique de l'assignation à la conformité intragroupe ne cherche pas à assigner un rôle unique à tous, par opposition au différentialisme qui en assigne plusieurs en fonction des prétendues appartenances. Critiquer le principe du différentialisme est s'opposer justement à toute assignation. Il ne s'agit jamais de fermer une des possibilités existantes dans un groupe. Les critiques du différentialisme qui s'attaquent directement à son principe cherchent à ouvrir à chacun toutes les possibilités existantes parmi les différentes identités.
Le différentialisme suppose que sans l'assignation conformiste au sein du groupe qui maintient la différence entre les groupes, les différences individuelles disparaîtraient. Pourtant, en l'absence d'assignation conformiste, les différences prônées et d'autres seraient librement accessibles à chacun.
La question peut alors se poser de savoir si le mouvement différentialiste se préoccupe de la liberté d'individuation ou du moins de chacun en tant qu'être unique ou s'il considère avant tout les personnes comme les outils ou le matériel du maintien d'un ordre naturalisé.