Le père de Jean-Julien Lemordant était marin-pêcheur et sa mère lavandière à Saint-Malo. D'après ce qui a été raconté[réf. nécessaire] au moment du retour triomphal du peintre dans sa ville natale en , son grand-père aurait été « ancien corsaire ». Orphelin dès l'adolescence (il n'a que 11 ans quand son père décède et 15 ans lors du décès de sa mère et est recueilli par une tante), sans ressource, Jean-Julien Lemordant réussit à étudier la peinture à l'École régionale des beaux-arts de Rennes où il est le condisciple de Camille Godet, Pierre Lenoir et Albert Bourget, et obtient en 1892 une bourse de la ville de Rennes qui lui permet d’intégrer l’École des beaux-arts de Paris en 1895[4],[5].
En 1901, à l’occasion de son service militaire effectué au 118e régiment d'infanterie, il découvre Quimper et la région de Penmarch, et il s’installe en 1904 à Saint-Guénolé pour travailler et étudier nature, marins et paysans du pays Bigouden ; Paul du Châtellier lui cède son atelier situé en bord de mer ; il obtient rapidement une certaine renommée en peignant les habitants, paysans et pêcheurs dans leurs habits traditionnels et souvent ployés sous le vent.
Peintre de la Bretagne et de la mer, on l'a qualifié parfois de « fauve breton », quoiqu'il ait travaillé surtout à Paris. Il a vécu dans le quartier des Gobelins[6]. Sa palette très colorée est une de ses principales qualités et il sait admirablement représenter les mouvements des hommes, les danses, mais aussi ceux de la mer, du vent, de la pluie.
Il commence alors à recevoir des commandes importantes tel le décor de la salle à manger de l'hôtel de l’Épée, à Quimper en 1905.
Le grand décor est réalisé entre 1905 et 1909 et se compose de 23 panneaux d’un total de 60 m2 relatant cinq grands thèmes : Le Vent, Le Pardon, Le Goémon, La Mer, et Le Phare[6] représentant le phare d’Eckmühl et la chapelle Notre-Dame-de-la-Joie. En 1975, l'hôtel de l'Épée ferme ses portes et le décor de la salle à manger est acheté [aux enchères par le musée des Beaux-Arts de Quimper en 1976. Lemordant y évoque de manière synthétique la vie quotidienne des Bigoudens.
En 1906, il expose neuf toiles au Salon d'automne de Paris[7]. Il y expose a nouveau en 1907 et présente dix œuvres dont des Fragments de décoration pour l'hôtel de l'Épée, Dans le vent et Scènes de Pardon[6],[8].
Il reçoit des critiques positives publiées dans La jeune peinture française par le critique André Salmon (1912) qui écrit « d’une barbare association de couleurs il extrait une juste harmonie par la science de l’éclairage, avec la mer sombre pour écran[9]. »
Son œuvre principale demeure la grande décoration que lui commanda le maire de Rennes, Jean Janvier, pour décorer le plafond du théâtre, aujourd'hui opéra[6]. Réalisée avec une grande rapidité, l'œuvre fut mise en place en 1914[10]. Elle représente une danse bretonne endiablée aux multiples personnages. On connaît au moins 60 études préparatoires à cette grande composition, le musée des Beaux-Arts de Rennes en conservant une[11]. Signalons aussi le décor conçu, sur le thème général de la Bretagne, pour l'hôtel de l’Épée à Quimper. Menacé de disparition lorsque l'hôtel ferma en 1975, il fut acquis par le musée des Beaux-Arts de Quimper, mais le manque de place ne permit de l'exposer qu'après rénovation complète du musée en 1993[12].
Sa carrière est interrompue par la Première Guerre mondiale : il est d'abord mobilisé dans un régiment territorial en raison de son âge, mais demande à se battre et est incorporé comme sous-lieutenant au 41e régiment d'infanterie. Gravement blessé le près d'Arras (une balle lui ayant fracassé sa boîte cranienne au-dessus de son œil droit, il est laissé pour mort sur le champ de bataille, mais est ramassé quatre jours plus tard par des brancardiers allemands), mais il a perdu la vue, du moins partiellement (atrophie du nerf optique).
Il est libéré fin 1916 lors d'un échange de prisonniers et accueilli en France en héros, perçu comme un martyr et célébré aux Invalides le où il reçoit une médaille, Charles Le Goffic faisant en cette occasion son panégyrique[13] . Peu après l'armistice, il est envoyé aux États-Unis, y sonne des conférences et y expose ses toiles d'avant-guerre et ses croquis de l'enfer des tranchées, qu'il dit avoir dessiné sur le front avant sa blessure, mais certains détails laissent penser qu'il les auraient réalisés après, car il aurait recrouvré la vue, au moins partiellement[14], continuant à jouer son personnage de peintre-aveugle pendant une dizaine d'années[15]. Neuf ans après la guerre, il portait toujours un bandeau sanglant sur son œil blessé ![16], bernant ses nombreux admirateurs, par exemple au Palais du Trocadéro le [17] ; ou encore en faisant des dessins des combats de la Grande Guerre supposés réalisés avant sa blessure, mais où « les soldats de 1914 portent des uniformes qui ne sont apparus que plus tard »[18].
Il se construit un hôtel particulier au 48, avenue René-Coty à Paris, en sa qualité d'architecte, ancien élève d'Emmanuel Le Ray, architecte de la Ville de Rennes[19].
Dans le roman Un héros national inspiré des épreuves de Jean-Julien Lemordant, Claire Géniaux y déplore les œuvres de charité des femmes envers les soldats qui auraient prolongés la Première Guerre mondiale[20].
musée des Beaux-Arts : Le Pardon ; Le Quai ; Le Port ; Ramassage du Goémon ; Dans le vent ; Contre le vent ; Phare d'Eckmühl ; La Chapelle Notre-Dame-de-la-Joie, 1905-1909 : décorations pour la salle à manger de l'hôtel de l’Épée à Quimper[23].
Buffet breton en bois, 1931, exécuté par François Caujan (né en 1902), exposé pour le cinquantenaire de l'école régionale des beaux-arts de Rennes, localisation inconnue[25].
↑Getty Research Institute et Société du Salon d'automne, Catalogue des ouvrages de peinture, sculpture, dessin gravure, architecture et art décoratif, Paris : Société du Salon d'automne, (lire en ligne).
↑Getty Research Institute et Société du Salon d'automne, Catalogue des ouvrages de peinture, sculpture, dessin gravure, architecture et art décoratif, Paris : Société du Salon d'automne, (lire en ligne).
↑André Harold B. Lee Library, La jeune peinture française, Paris : Société des Trente, (lire en ligne).
↑Ce qui donna lieu de la part de ses rivaux et ennemis à des accusations jamais prouvées (il aurait exagéré la gravité de ses blessures aux fins de recevoir une pension).
↑ ab et cSerge Rogers, « Jean-Julien Lemordant, l’artiste breton qui s’est construit un personnage de « peintre aveugle » », Journal Le Télégramme, (lire en ligne, consulté le ).
↑« Conférence. J.-J.Lemordant, peintre et affabulateur! », Journal Le Télégramme, (lire en ligne, consulté le ).
↑Olivier Renault, « RÉCIT. 1922, le « peintre aveugle » breton assiste à son apothéose au Trocadéro », Journal Ouest-France, (lire en ligne, consulté le )
↑« Conférence. J.-J.Lemordant, peintre et affabulateur! », Journal Le Télégramme, (lire en ligne, consulté le )
↑Antoine Goissaud, « Hôtel particulier pour un artiste peintre 48 avenue du Parc Montsouris à Paris », La Construction moderne, Paris, , pp. 8-15, article cité in: Hélène Guéné et François Loyer, L'Église, l'État et les architectes Rennes 1870-1940, Éd. Norma, 1995, 366 p.
« L'œuvre de guerre de Lemordant », Bretagne no 130, .
André Cariou, « La restitution d’une décoration de Lemordant au musée des beaux-arts de Quimper », Bulletin de la Société de l’Histoire de l’Art français, Paris, 1992, pp. 242-252.
Jean-Julien Lemordant, avec des textes d'André Cariou et de Luc Legeard, , éd. du musée des Beaux-Arts de Quimper, 1993 (ISBN2-906739-18-9). — Catalogue de l’exposition du musée des Beaux-Arts de Quimper, du au .
André Cariou, « Émile Masson et Jean-Julien Lemordant », in: Actes du colloque Émile Masson, prophète et rebelle, de Pontivy en 2003, éd. Presses Universitaires de Rennes, 2005, pp. 243-250 (ISBN2-7535-0058-4).
André Cariou, Jean-Julien Lemordant, Plomelin, Éd. Palantines, 2006 (ISBN2-911434-60-9).