Ils étaient commandés par leurs chefs Gud et Cathluan fils de Cing et voulurent s’établir dans « l’île verte » peu de temps après sa conquête par les Goidels dirigés par les fils de Mile[4]. L’historien angleBède le Vénérable se faisait déjà l’écho de ce même mythe dans son Historia Ecclesiastica Gentis Anglorum lorsqu’il précise:
« Les Pictes comme je l’ai dit, arrivèrent sur cette île par la mer, ils désiraient obtenir un endroit où s’installer ; les Scots répondirent «que l’île ne pouvait accueillir à la fois ces deux peuples ». Ces derniers continuèrent «nous pouvons néanmoins vous donner un bon conseil leur dirent ils. Nous savons qu’il existe une autre île, guère éloignée de la nôtre, en direction de l’est, que nous apercevons souvent au loin, par temps clair. Si vous y débarquez vous obtiendrez des colonies ; et si l’on s’oppose à vous, vous pourrez compter sur notre appui. Les Pictes en conséquence, cinglèrent vers la Bretagne dont ils occupèrent les parties septentrionales, car les bretons possédaient le sud. Mais les Pictes n’avaient pas de femme aussi demandèrent ils aux Scots d’épouser leurs filles. Les Scots acceptèrent à condition qu’ils choisiraient en cas de litige un roi né de la race royale féminine plutôt que masculine, coutume que les Pictes observèrent jusqu’à nos jours… »
Les diverses listes de rois Pictes qui nous sont parvenues et qui sont baptisées de manière quelque peu impropre « Chronique Picte » mentionnent les noms d’environ 80 souverains avec leurs durées de règne et parfois de brèves indications sur les événements très remarquables auxquels ils furent liés et qui sont exprimés selon la forme suivante[5]
Drest mac d’Erp « régna 100 ans et combattit dans 100 combats ; dans la 19e année de son règne l’évêque saint Patrick, arriva dans l’île d’Irlande ».
Nechtan Morbet « régna 24 ans et dans la 3e année de son règne, Dairlugdach abbesse de Kildare vient d'Irlande en Bretagne en exil pour le Christ »
Kenneth mac d’Alpin « fut le premier des Scots à régner sur le pays des Pictes (Pictavia) pour 16 ans… Dans la septième année de son règne il transporta les reliques de Saint Colomba dans l’église qu’il avait fait construire et envahit la Saxonie (i.e Lothian) six fois. Il détruisit Dunbar par le feu et prit possession de Melrose ».
Ces listes de noms qui débutent donc avec Gud et Cathluan sont purement légendaires jusqu’au Ve siècle de notre ère. On peut cependant parfois y déceler les traces de patronymes évoquant ceux de personnages attestés par d’autres sources comme :
Uipoig namet, mentionné avec un règne de 30 ans, dont la forme du nom est proche de celui du magnat de Calédonie Uepogenus dont on a trouvé une inscription à Colchester datée également du début du IIIe siècle [8]
Les listes royales nous apprennent que le premier roi des Pictes, successeur des deux chefs évoqués ci-dessus s’appelait « Cruithne mac Cinge » et que ses sept fils eux-mêmes successivement rois donnèrent leurs noms aux différents districts traditionnels du pays qu’ils se partagèrent.
Cirig ou Circin (Angus et Mearns) : règne 40 ans ;
La période la plus ancienne des listes royales se caractérise à la suite les noms des fondateurs et des rois éponymes évoqués ci-dessus par une succession curieuses de 28 paires de noms de rois tous prénommés Brude et comportant un second nom précédé une fois sur deux du préfixe Ur. Ainsi elle débute par exemple avec Brude Gest suivi de Brude Urgest, puis alternent Brude Pont, Brude Urpont, Brude Leo, Brude Urleo, etc. Il semble qu’il s’agisse d’un terme indiquant une filiation, comparables à ceux utilisés par les autres peuples celtiques brittoniques (ap, ab) ou gaéliques (mac).
Jusqu’au règne de Uuradech Uecla, les manuscrits du « Groupe A » contiennent de plus nombreux noms que ceux du « Groupe B. » En ce qui concerne le milieu de la liste soit de la fin du Ve au début du VIIIe siècle (du règne de Uuradech Uecla jusqu’à celui de Nechtan mac Derile) les deux listes correspondent étroitement. Après le règne de Nechtan mac Derile les différences entre les deux sources sont si grandes qu’il est difficile de les imputer à de simples erreurs de copistes[9]
Les principales incohérences se trouvent dans la période de guerres civiles du premier tiers du VIIIe siècle et dans celle qui précède immédiatement la prise du pouvoir par Kenneth mac Alpin vers le milieu du IXe siècle. En effet pendant ces deux périodes plusieurs rois ont occupé le trône à tour de rôle et /ou en opposition ou ont régné en même temps sur diverses parties du pays parfois à plusieurs reprises ! La seconde liste semble additionner en les redoublant même parfois les règnes multiples de ces différents prétendants[10]
Les dates déterminées à partir des durées de règnes dans les documents du « Groupe A » coïncident par contre avec différence maximum de cinq ans avec celles des Annales de Tigernach attribuées à Tigernach, abbé de Clonmacnoise (+1088) (Période AD 489 -766) et/ou les Annales d'Ulster (Période AD 431-1201) compilées dans l’île de Senait mac Manus par Cathal Maguire (mort 1498) qui relèvent essentiellement la disparition de nombreux souverains Pictes. Par contre l’écart final entre la totalisation de la durée des règnes sur la liste « Groupe B » et ces mêmes annales atteint une centaine d’années [11]
Les listes conservées en plusieurs exemplaires dans les manuscrits semblent en fait correspondre à des listes de rois suprêmes comparables aux Ard ri Érenn irlandais ou aux rois des provinces traditionnelles qui se partageaient l’île voisine. Cette royauté plus au moins symbolique devait être disputée entre des prétendants issus des différents royaumes régionaux eux-mêmes divisés entre des tribus claniques. Contrairement à l’Irlande aucune liste ni généalogie royale de ces dernières entités ne nous sont malheureusement parvenues[12]
Les adversaires de la tradition d’une dévolution purement matrilinéaire de la royauté picte, comme Alfred P. Smyth invoquent ce point en estimant que l’absence de liens familiaux directs entre les différents rois, que l’on constate également dans l’île voisine par exemple en ce qui concerne les rois de Laigin peut clairement s’expliquer dans le cadre d’un régime de transmission patrilinéaire dans la mesure où l’on ne dispose pas de généalogies étendues à l’ensemble des familles constituant le clan royal et que leurs disparitions dans le domaine Picte est la seule cause de l’apparente absence de transmission du royaume de père en fils chez les Pictes[13]
Pour la période historique nous avons cependant trace de quelques-uns uns de ces rois locaux dont celui d’Athfhotla
(Atholl) Talorgan mac Drostan qui fut tué par le roi Unuist mac Urguist (Oengus Ier mac Fergusa) en 739 (Annales d'Ulster & Annales de Tigernach) et ceux de la famille de ce dernier originaire de Circinn qui prit le pouvoir après un conflit de plusieurs années qui l’opposa à d’autres compétiteurs[14]
La tradition irlandaise reprise notamment dans le Livre de Munster et dans le Livre Hui Maine fait en effet de Conall Corc mac Lugaid roi des Eóganachta de Munster et cousin de
l’Ard ri ÉrennCrimthann mac Fidaig, l’époux de Mongfinn une fille du roi picte Uuradech Uecla quatrième prédécesseur de Drust mac Erp et qui est crédité d’un règne de deux ans à la fin du IVe siècle. Cette branche des Eóganachta de " Magh Geirginn" descendrait du fils de Corc, nommé Caibre Cruitheachan (le petit picte), passe pour s’être établie dans le royaume picte de Cirech (Circinn) et pour avoir été le clan ancestral du roi historique Oengus Ier[15]
Liste des rois
Liste des rois des Pictes de la période dite historique établie selon les manuscrits de la Chronique Picte de 971/975[16] et de 1040/1072[17]. Les durées des règnes des derniers rois avant Kenneth Ier d'Écosse proviennent du manuscrit de 1317[18]
↑D. Comyn & P. S. Dinneen (ed .& trans.), The History of Ireland by Geoffrey Keating, Irish Texts Society, 1902-1914, Book 1 Chapters 21, 22, 23, 24
↑John O'Donovan (ed. & trans.), Annala Rioghachta Éireann: Annals of the kingdom of Ireland by the Four Masters, Dublin, 1848-1851, Vol. 1 p. 25-35.
↑(en) J.M.P. Calise Pictish Sourcebook- Documents of Medieval Legend and Dark Age History. Greenwood Press, Londres (2002) (ISBN0313322953), « Pictish Origin Legends » p. 22-145
↑(en) J.M.P. Calise Op. cit « Pictish and Scottish regnal lists » p. 147-159 .
(en) J.M.P. Calise Pictish Sourcebook- Documents of Medieval Legend and Dark Age History. Greenwood Press, Londres (2002) (ISBN0-313-32295-3)
(en) Tim Clarkson The Picts. A History Birlinn Ltd, Edinburg, 2010, (ISBN9781906566258).
(en) William Arthur Cummins, The Age of the Picts, Stroud, Sutton Publishing, (ISBN0750916087), Appendix I The Pictish Chronicle Group A and Group B: Compared p. 145-146 & Appendix 2 The Pictish Chronicle : Calibration p. 147-149
(en) William Forbes SkeneChronicles Of The Picts,Chronicles Of The scots And Other Early Memorials Of Scottich History H.M. General Register House Edinburgh (1867), reprint Kessinger Publishing's (2007) (ISBN1432551051)