Cette appellation est loin de faire l'unanimité du fait de son ambiguïté sémantique : elle ne possède aucun équivalent dans les autres langues que le français.
Technique
Sur un support papier qui peut être luxueux ou ordinaire, un ou une poète écrit un texte qui sera prétexte à l'artiste pour créer son illustration ou inversement. Le papier est ensuite soit simplement plié en deux soit plié en accordéon dans la tradition du leporello. La forme permet ainsi d'exposer le livre à la verticale lors des expositions, pour que les visiteurs puissent en faire le tour et le voir dans son ensemble. Lorsque les livres sont conservés dans des vitrines adossées au mur, des miroirs y sont fixés pour permettre de voir l'avers[4]. Quelques intervenants ajoutent au(x) pli(s) des collages, des découpages ou n'hésitent pas à coudre des fils de couleur directement sur le livre. Le nombre d'exemplaires est limité à 4, 5, 6 ou parfois 7 (pour les premières séries)[5] : l'un part pour les réserves du Prieuré de Saint-Cosme qui détient un exemplaire de chaque livre, un autre est consacré à des expositions itinérantes et le reste est partagé entre les différents intervenants. Tous sont des créations originales.
Évolution du projet
Si les matériaux, les formats et les thèmes sont habituellement proposés par Daniel Leuwers, ce qu'il appelle lui-même les "règles du jeu" sont appelées à changer du fait de la liberté totale qu'il laisse aux acteurs du livre pauvre. Ainsi certains artistes ou poètes utilisent des papiers différents, ne respectent pas le sujet proposé par le titre de la collection, ou s'affranchissent même du recours à un collaborateur : plusieurs créations ne comportent qu'un poème, sans intervention plastique. D'autres évolutions ont aussi eu lieu, comme la multiplication des participations alors que le projet initial n'en prévoyait qu'une par poète et par peintre. Enfin, Michel Butor a renversé l'ordre établi dans un premier temps, en laissant les artistes commencer puis en insérant ses poèmes dans les espaces laissés libres[6] : la pratique s'est rapidement répandue par la suite.
Pourquoi « pauvre »
Un tel livre ne passe pas par les circuits éditeur - imprimeur - librairie et se situe donc hors du commerce. Ce dernier est également peu coûteux à réaliser : ce sont les principales raisons qui ont conduit au choix de son appellation[1]. Il fait ainsi écho aux autres formes de l'art dit "pauvre" qui se sont principalement développées à la fin du XXe siècle, comme l'Arte Povera ou le théâtre pauvre de Jerzy Grotowski : le dépouillement, la réduction des œuvres à un minimum de matière permettent alors de mettre l'accent sur le procédé mis en œuvre par l'artiste.
Intervenants et collections de livres pauvres
Si l'appellation livre pauvre ainsi que la première collection (au Prieuré de Saint-Cosme, connu par ailleurs pour avoir accueilli Pierre de Ronsard qui y est enterré) ont été lancées par Daniel Leuwers, d'autres artistes, tel Max Partezana[7] et Aaron Clarke[8] ont suivi le même mouvement par la réalisation d'autres livres pauvres qui ont rejoint, d'abord, la collection de Daniel Leuwers, puis leurs propres collections.
Depuis, d'autres collections de livres pauvres ont été créées par d'autres artistes. Voir le fonds Armand Dupuy de la bibliothèque de livre d'artiste Bibart en Belgique[9] et la collection L3V de la galerie nomade MT-Galerie[10]. Des livres pauvres existent aussi au sein de la collection « Mémoires » d'Éric Coisel[11]. Tout un foisonnement d'artistes pratiquent aujourd'hui et apportent leur pierre à ce concept et cette pratique (liste ci-dessous).
Par ailleurs, la participation était au début limitée à des poètes et artistes francophones mais s'est très vite ouverte à des intervenants venant d'Afrique, du Moyen-Orient, d'Amérique du Nord ou encore d'Asie. Le livre pauvre a également pris une autre dimension internationale lorsqu'ont été réalisées des expositions à travers l'Europe, comme à la Bibliothèque Wittockiana[12], ainsi qu'Outre-Atlantique et sur le continent africain.
Julien Michel, « Le passage du temps dans le livre pauvre », dans Daniel Leuwers (dir.), Passages : actes du colloque du cinquantenaire de l'AICL, Association internationale de la critique littéraire, 2019
Julien Michel, Le Livre pauvre. Identité trouble, identité double, Presses Universitaires du Midi, 2024