Le manoir de Kervégan[1] (également appelé Ker Guegant[2] puis Kervégant) est un manoir situé au lieu-dit de Kerlaouénan dans l'ancienne commune de Servel, ancienne paroisse du diocèse de Tréguier sous le nom de Selvell dès 1426[3] devenue Servel dès 1543, et rattachée depuis 1961 à Lannion.
Sur les 4 000 manoirs recensés en Côtes-d’Armor, un nombre important se situe dans la vallée du Léguer. Cette spécificité est une composante notable de cette région. Du XIVe au XVIe siècle, les cinq départements de la Bretagne historique se couvrent d'un manteau de manoirs plus dense que partout ailleurs. Politique, économie et société forment la toile de fond sur laquelle s'inscrit « l'âge d'or des manoirs », cellules privilégiées de vie et de production, symboles de pouvoir, de réussite sociale et d'appartenance à un groupe supérieur, et non simple forme d'habitat[4].
Protégé et inscrit à l'inventaire des Monuments historiques depuis 1964, ce patrimoine local et historique fait partie en 2021 des dix lauréats Vieilles maisons françaises (VMF) parmi les châteaux et demeures historiques en France[5].
Histoire
Sa première construction date très probablement de la fin XIVe au début du XVe siècle et est historiquement lié à sa seigneurie. Le bâti actuel se situe entre les années 1635 et 1645 avec une restauration lui donnant son aspect contemporain en 1815. La seigneurie de Kervégan est l'une des nombreuses seigneuries de la paroisse de Servel. Elle est limitée à l'Est par la seigneurie de Kervouric[6] (alias Ker Bourric[2] puis Kerbouric[7]), au Nord par celle de Keradrivin[8], à l'Ouest par celle de Traou Léguer[9], et au Sud (environ 400m) par le fleuve côtier, le Léguer. Elle s'appuie, d'une part, sur la maison manale de Kervégan (domaine et maison noble attesté en 1778 sous le nom « la maison noble de Kervigant »[10]) qui a le « droit de maout » : un moulin existait sur le ruisseau venant de Keradrivin, le « droit de colombier » : le pigeonnier, tout comme le moulin (disparus aujourd'hui), sont encore situés sur le plan cadastral Napoléon de 1826 et trois parcelles portent encore le nom en breton de « Parc ar houldry » et d'autre part, sur une chapelle primitive (XVe probablement fin XIVe, famille des Tertres) connue sous le nom « Chapelle Saint-Nicodème »[11] à environ 150 mètres au Sud-Ouest du manoir. Jadis, chapelle domestique du manoir de Kervégan elle est protégée au titre des monuments historiques en 1964[12]. Aujourd'hui est la propriété de la famille Roquefeuil (de) « d’azur à neuf nœuds de cordelières d'or, 3, 3 et 3 » depuis 1976 et magnifiquement restauré par la suite[Interprétation personnelle ?].
Un inventaire du XVIIIe siècle, nous la décrit comme suit : « Grand vitrail au pignon levant haut avec un écusson. Accoudoir à côté de l’Évangile (banc) un écusson en sculpture du Seigneur de Boisgelin, seigneur de Kervégan, paroisse de Servel. Quelques reliques. À l’extérieur, ancienneté d’une pierre avec écusson gravé semi-engagé du Seigneur du Tertre, seigneur de Kervégan de Servel. Porte actuelle écusson du Seigneur de Kergariou, seigneur de Kergrist de Coetillio, paroisse de Ploubezre ».
Le manoir est doté d'un très joli[Interprétation personnelle ?] puits (toujours existant). Il était probablement doté d'un four à pain sur le pignon sud-ouest (très certainement détruit lors de la restauration de 1815), si l'on se fit aux attaches en pierre encore existantes[13]. N'oublions pas la très belle « Fontaine Saint-Nicodème » à mi-chemin (dans le vieux chemin creux), située au sud-est de Kerlaouénan entre les manoirs de Kervégan et de Kervouric[14]. Construite en 1733, et ornée de ses belles inscriptions : « DEDIE A L'HON(neur) DE ST NICODEME PAR ORDRE DE MR LE CHEVALLIER RECT(eur) ICY F(aite) (Par) LE CL DY HVON ET Mie GESLDON 1733 ». Vérification faite : Yves Huon, maître lieutenant de Servel dès 1703 s'est marié le de la même année à Pluzunet à Marie Geldon et donne naissance à plusieurs enfants à Servel entre 1703 et 1728[15]. Il est à noter que Yves Huon et Marie Geldon étaient convenanciers du manoir de Kervouric[16]. Elle fut remise en état par l'ARSSAT[17] en 1970 puis en 1987 après de passage de l'ouragan. On y venait encore il y a quelques années le lundi, prendre de l'eau pour bénir les cochons et les chevaux. Saint-Nicodème était un saint vétérinaire[18].
La « terre » de Kervégan en Servel comprenait les fermes du Pouldu, La Motte, Min Coar et Crec'h Goulifern, entre autres.
Les registres des baptêmes-mariages-sépultures, tenus par les différents recteurs de Servel, ont gardé la trace des seigneurs de Kervégan(t). Cette seigneurie de Servel n'avait pas « droit de justice ». Elles se comptent, principalement, au nombre de trois grandes familles :
« 1. Les « Tertres(du/des) », en breton Rozou (connus sous l'appellation « du Tertre » aux XVe et XVIe siècles). La famille Tertres (des), sieur de Kervégan(t) et de Crec'hgouriffen « aujourd'hui Crec'h Goulifern » (par. de Servel, év. de Tréguier), mais aussi, sieur du Roc'hou (par. de Lanvézéac), du Hentguer (par. de Brélévenez), de Pontguennec (par. de Perros-Guirec) est attestée à Kervégant[19] en 1426 lors de la réformation des fouages, par Guillaume du Tertre, alors propriétaire des lieux[2], seigneur du Roc'hou en Lanvézéac et de Kervégan en Servel, marié à Catherine Merou, dame de Kergomar. Le domaine s'écrit alors Ker Guegant, la forme Kervégant apparaît dès 1535[20] dans l'expression : « La Motte de Kervégant à le mengouet à Jean du Tertre ». Kervégan fut un site à motte que l'on rapporte d'une manière générale au XIe siècle. Il est à noter que la seigneurie de Kervégan est antérieure à cette date de 1426, puisqu'elle est la propriété de Charlemagne du Tertre (1360) et Alain du Tertre (1358) lequel payait une rente féodale à Hervé de Kerbouric, frère puîné de Thomas, seigneur de Kerbouric (cf. Recueil du cabinet de Lannion du XVIIe siècle, archives départementales du Morbihan, page 180/138). Selon la généalogie des seigneurs de Goasvenl (Manuscrit de Keroulas), la chapellerie fondée, fin XIVe début XVe, dans l'église de Servel serait due à Guillaume du Tertre, époux de Catherine Merou de la maison de Kergomar en Loguivy-les-Lannion[21].
Leur descendante et dernière héritière de la seigneurie de Kervégan(t), Renée du Tertre, dame de Kervégan(t) en Servel (fille de François du Tertre, sieur de Kervégan(t) en Servel et capitaine des arquebusiers de Tréguier et de Marguerite Couffon, héritière de la famille Couffon) décédée en 1612, se marie à François du Boisgelin[22],(fils de Charles du Boisgelin, sieur de Kervégan et de Kerveret en Lanloup et Jacquette de Coattarel[23], de la maison noble de Kernaudour[24]) »
Blasonnement : « de gueules au lambel d'argent »[25]
« 2. Par ce mariage, entre François du Boisgelin et Renée du Tertre, les Boisgelin(du)[26], sieur de Kervégan[27] et de Kerveret[28] (paroisse de Lanloup) possèdent dès lors Kervégan[29](paroisse de Servel). Leur petit-fils et héritier Claude du Boisgelin[30], et sa femme Jeanne Calloët (fille de Maurice Calloët, conseiller du roi, procureur en la Cour royale de Lannion), vendirent Kervégan en Lanloup par acte du à noble Raoul Ollivier, sieur du Bouredeau en Plouha et à Marguerite Gendrot son épouse. Claude du Boisgelin s'était retiré à Kervégan en Servel[31] et avait eu quatre enfants : Pierre, Gabriel, Maurice et Jean. Pierre mourut sans hoirs et son frère Gabriel[30] qui lui avait succédé se noya en traversant une rivière en 1691, ne laissant pas d'enfant de Gilonne du Liscouet qu'il avait épousé le 10 février 1687 à Louannec. Gabriel, fut ainsi le dernier de cette maison à Kervégan en Servel »
Blasonnement : « écartelé, aux 1 et 4 de gueules à la molette d'argent aux 2 et 3 d'azur plein »[32]. Famille Boisgelin (du) : « Cette maison, est l'une des plus considérables de la noblesse de Bretagne... »[33].
« 3. Au XVIIIe siècle, Kervégan est du domaine de la famille Kergariou(de)[34], sieur de Kergrist[35] de Coetillio[36] "Coatilliau" (paroisse de Ploubezre). Par la suite, il semble que Kervégan devienne un convenant. Louis de Kergariou[37] (arrière grand-père de René-Fiacre de Kergariou), sieur de Coetillio, est marié à Gabrielle Calloët (fille de Maurice Calloët, conseiller du roi, procureur en la Cour royale de Lannion[38]) dont la sœur Jeanne est mariée à Claude du Boisgelin[30] (lui même, père de Gabriel « noyé accidentellement en 1691 » et petit-fils de François du Boisgelin et Renée du Tertre). Une autre branche de kergariou[37], branche de kergrist, est sieur de Kervégan (alias Kervéguen plus exactement[39]) en Plouigneau à la suite d'une alliance avec la maison noble de Toulcoët[40]. Il est à noter, qu'un procès de prééminences avec visite, expertise de l'état de la chapelle Saint-Nicodème (par. de Servel, év. de Tréguier), est dressé les 17 au 21 mai 1756 par le sieur Jan-Baptiste Fresnel[41], conseiller du roi, et son sénéchal au diocèse de Tréguier, à Lannion, montre que le seigneur de Kergariou est René-Fiacre de Kergariou dit Comte de Kergariou et conseiller au Parlement de Bretagne de 1756 à 1785, de la branche de La Grandville en Bringolo[42] »
Il est à noter que sur le pignon de la ruelle reliant la rue de l'église à la venelle des 3 avocats, à Lannion, se trouve le visage d'accueil de la maison de Gabrielle Calloët, dame douairière de Coatilliau et épouse de Louis de Kergariou[43].
Blasonnement : « d'argent fretté de gueules ; au canton de pourpre, chargé d'une tour d'argent maçonnée de sable »[44]. Famille de Kergariou : « Cette famille est l'une des plus anciennes et des plus illustres maisons de Bretagne... »[45]
Une grosse rénovation fut effectuée au début du XIXe siècle par Vincente Logou, alors propriétaire des lieux. Inscription faite sur l'une des portes de la cour intérieure : « FF PAR VINCENTE LOGOU 1815 », la porte (cad. C 296) est inscrite au titre des monuments historiques en 1964[46]. Malheureusement très abîmé, le manoir fut pillé et amputé de ses trésors d'architecture au XXe (ex : Cheminée armoriée sur le pignon Sud-Ouest :« A l’intérieur, la cheminée est composée d’une grande pierre sculptée de deux écussons et au centre d’un grand médaillon ovale avec guirlandes le composant. Cette pierre de 2,70 m au relief suffisamment indiqué et dégrossi, repose sur deux pieds droits de 30 cm à leurs extrémités »[47]. Cheminée exportée dans une villa côtière (Trébeurdun ou Trégastel) sur laquelle on peut remarquer le collier de l'ordre du Saint-Esprit, ordre de chevalerie le plus prestigieux de la monarchie française, et les consoles à volutes caractéristiques de la première moitié du XVIIe siècle[48]. On peut toujours remarquer sur les anciennes dépendances du manoir encore existante côté Nord-Est, deux pierres de granit sculptées difficilement lisibles, l’une est un linteau avec quelques lignes d’inscriptions, et l’autre un blasonnement des anciens seigneurs de Kervégan. Malheureusement, une partie de ce patrimoine bâti de grande valeur a aujourd'hui disparu : porte cochère et piétonne, four à pain, sculptures sur granit en tout genre, pigeonnier et moulin (Servel - Cadastre C, 2e feuille - 1826), etc.
En ce début de XXIe siècle, c'est par une restauration complète du bâti et de ses abords que le propriétaire actuel a entrepris de redonner ses lettres de noblesse à ce patrimoine local et historique[passage promotionnel].
Origine : Très ancienne Baronnie de Provence « Barons & Grands Seigneurs Laïcs » en Ubaye & Piémont.
↑La seigneurie de Kerbouric, en Servel, possédait une juridiction attestée du XVIe au XVIIIe siècle. La seigneurie de Keranfaou était unie à celle de Kerbouric. Cette seigneurie de Kerbouric était détenue par Pierre de Lannion, seigneur du Cruguil, puis, en 1718, par Anne-Bretagne, comte de Lannion et fils du précédent. La seigneurie est à Gaëten de Lannion en 1756. InfoBtretagne.
↑La seigneurie de Keridrivin, en Servel, possédait une juridiction mentionnée en 1641. Yvon de Morizur est seigneur de Keridrivin en 1412. Cette maison se fond ensuite dans Lesmais ou Lesmaës. Cette seigneurie est vendue en 1619 par Claude de Lesmaës à Jean du Fresne, sieur de La Vallée. Cette terre passe ensuite entre les mains successives des familles Fleschard (avant 1672), Kerousy et Kerannou (à partir de 1672). InfoBretagne
↑Le manoir de Traou-Léguer (XVe siècle). Propriété jadis de la famille Saliou. Le nom de Rolland Guyon (XVIIe siècle) se trouve gravé sur un linteau. On y voit aussi un puits daté, semble-t-il, du XVIIe siècle. InfoBretagne
↑Ogée Dictionnaire historique et généalogique de la province de Bretagne, 1778, rééditions : 1843, 1979
↑Louis Harbonville, "La chapelle de Saint-Nicodème : de louis XIV à la révolution", dans bulletin de l'ARSSAT, 1994, p.36. - Yves Briand, "La chapelle de Saint-Nicodème en Servel", articles parus dans l’Écho de Lannion les 1er et 8 août 1959.
↑Constat fait par Denis-Marie Lahellec, délégué de pays Lannion-Trégor, Côtes d'Armor, Bretagne - Fondation du Patrimoine.
↑Élément architectural du manoir de Kervouric « Le Portail » : Ce portail divisé en deux entrées, l'une destinée aux piétons et la seconde étant une porte cochère, se trouve être la dernière trace architecturale du manoir de Kervouric, construit au XVe siècle. Il est encore possible d'y deviner des écussons, dont les détails sont maintenant illisibles. Les arcs gothiques sont à présent les seuls éléments ornant ce portail.
↑Louis Harbonville - Article dans le Trégor du 24 avril 1993
↑Potier de Courcy « Nobiliaire et Armorial de Bretagne » 1846, réédition de 1986, écrit pour cette famille de Kervégan et de Crec'hgouriffen en la paroisse de Servel
↑BNF MS 22321 Réformation de Tréguier en 1535, p519
Série E - Seigneuries. Familles. Notaires. État civil (avant 1790)
Sous-série 1 E : Seigneuries
1 E 3376 : Seigneurie de Barach et annexes (Servel, Perros-Guirec, Saint-Quay-Perros), 1613-1787.
1 E 3454 : Seigneurie du Faou (Brelevenez, Saint-Quay-Perros, Servel), 1554-1787.
1 E 3458 : Seigneuries de Goasven-Kerelleau et annexes (Servel), 1499-1760.
1 E 3493 : Domaine de Kernabat-Servel (Servel), 1543-1773.
Sous-série 2 E - Familles (XIVe – XVIIIe siècle)
2 E 402 : Kervégan (de).
Série J - Archives d'origine privée
Sous-série 60 J : Fonds Frotier de La Messelière (XVIe – XXe siècles)
60 J 197-200 : Manoirs des Côtes-du-Nord : catalogues de cartes postales et de croquis à la plume.
Série T - Enseignement général, affaires culturelles, sports (1800-1940)
Sous-série 4 T : Affaires culturelles
4 T 56 : Monuments historiques, archéologie, Beaux-Arts (vrac).
Bibliothèque administrative et historique
Usuels
US 903 C1 : Dictionnaire des communes des Côtes-du-Nord, par Régis de Saint-Jouan, 1990, pages 294-308 (Lannion).
US 740 C1 : Répertoire des planches de Henri Frotier de La Messelière, sans date.
US 921 C1 : Table des manuscrits de Henri Frotier de La Messelière, 5 tomes, sans date.
Ouvrages
HP 12 : Mémoires de la Société d’émulation des Côtes-du-Nord, année 1924, tome 56, page 74 (un écrit sur le manoir de Kervégan en Servel dans « Quelques notes sur Lanloup » par René Couffon).
Bibliographie
François-Marie Sallou, « Le manoir de Kervegan(t) à Servel », bulletin 2019 de l'Association pour la Recherche et la Sauvegarde des Sites Archéologiques du Trégor (ARSSAT), p. 231-239.