Le révolutionnaire algéro-français Mohamed Saïl (en Kabyle: Muḥend Saïl), de son nom complet Mohand Amezian ben Ameziane Saïl est né le 14 octobre 1894 dans le village de Taourirt de la commune de Souk Oufella dans la province de Béjaïa en Kabylie, et mort le 27 avril 1953 à Bobigny (Seine).[1] Enfant, Mohamed est l'un des rares à pouvoir fréquenter l'école primaire pendant une courte période, mais il parvient à devenir autodidacte.[2] Il passe la première moitié des années 1920 à militer contre le militantisme (il s'est rebellé et a refusé de s'enrôler dans l'armée française pendant la Première Guerre mondiale, 1914-1918). Il a travaillé dans sa vie comme mécanicien automobile puis réparateur de poteries. Il fut également anarchiste, anarcho-syndicaliste, militant anticolonialiste et farouche opposant au nationalisme et à l'État communiste, en plus d'être écrivain et volontaire au sein du Groupe international de la colonne Durruti pendant la guerre civile espagnole.[3]
Mohamed Saïl est né le à dans le village de Taourirt de la commune de Souk Oufella dans la province de Béjaïa en Kabylie.[5] Comme beaucoup d'Algériens à cette époque, il a peu fréquenté l’école. Chauffeur-mécanicien de profession, il vécut avec Madeleine Sagot. On sait peu de choses de sa jeunesse ; on apprend par un témoignage qu’il donne au Semeur de Normandie, le journal d’Alphonse Barbé, qu’il est interné pour insoumission puis pour désertion pendant la Première Guerre mondiale : « pendant près de quatre ans, en temps de guerre, je fus insoumis puis déserteur ». Ses sympathies pour le mouvement libertaire sont déjà affirmées[6].
Dès la reconstitution du mouvement libertaire, à la sortie de la Première Guerre mondiale, il adhère à l’Union anarchiste. En 1923, avec son ami Sliman Kiouane[7], il fonde le Comité de défense des indigènes algériens.
Entre 1924 et 1926, il semble avoir vécu en Algérie, où il collabore au journal Le Flambeau. Il y dénonce le colonialisme et le code de l’indigénat, et appelle les Algériens à l’instruction, à la révolte et à « rejoindre les groupes d’idées avancées ». À l’époque, il donna également des articles à L’Insurgé d’André Colomer et à L’Anarchie de Louis Louvet, sous la signature « un anarchiste kabyle ». En , il fut emprisonné dix jours pour avoir critiqué « le régime des marabouts qui bernent les populations » dans un café à Sidi-Aïch (Kabylie)[8].
En 1929, il est le secrétaire d’un nouveau Comité de défense des Algériens contre les provocations du centenaire. La France s’apprête à célébrer le centenaire de la conquête de l’Algérie (). L’ensemble du mouvement anarchiste dénonce le colonialisme : « La civilisation ? Progrès ? Nous disons nous : assassinat ! ». Par la suite, il adhère à la CGT-SR (la section française de l'AIT de l'époque), dans laquelle il crée la Section des indigènes algériens. L’année suivante, lors de l’exposition coloniale, le mouvement anarchiste reprend sa campagne contre le colonialisme.
En , installé à Aulnay-sous-Bois, il est le gérant du journal local L’Éveil social, qui parait de à avant de fusionner avec Terre libre. Un article lui vaut des poursuites « provocation de militaire à la désobéissance »[6]. Le Secours rouge international, organisation satellite du Parti communiste, lui apporte son soutien qu’il rejette au nom des victimes du stalinisme.
« Affaire Mohamed Saïl »
Le , quelques semaines après la manifestation des ligues du , il est arrêté à Saint-Ouen par la police qui saisit chez lui quelques grenades et pistolets, « souvenirs de la dernière guerre » selon le Comité de défense sociale. Il est inculpé de « délit de port d’arme prohibée ». Condamné à un mois de prison, puis à un autre mois pour « détention d’armes de guerre », il reste quatre mois et demi, temps qui dépasse de deux mois et demi celui de ses deux condamnations[8].
Il reprend ses activités militantes au sein de l’Union anarchiste et prend part aux débats sur l'organisation qui traversent le mouvement. Partisan d’une structure qui regroupe l’ensemble des courants anarchistes il développe son analyse en tenant compte des leçons espagnoles et de l’action qu’il mène à Aulnay-sous-Bois : « Sachez que si notre groupe dépasse cent cinquante copains à l’heure actuelle, c’est parce que ses animateurs ne sont pas des rigolos mais des anarchistes sans compromission et que, s’ils sont de différentes écoles, ils ne connaissent avant tout qu’un seul idéal et une Anarchie » [9].
Volontaire en Espagne
Après le Coup d'État des 17 et 18 juillet 1936 et le début de la Révolution espagnole, Saïl, alors âgé de 42 ans, rejoint le Groupe international de la colonne Durruti[10] avec notamment avec Louis Mercier-Vega et Charles Carpentier. Il devient, après la mort de Berthomieu à Perdiguera, le responsable du groupe. C’est lui qui le conduit à l’attaque à Quinto. Le , en mission de reconnaissance, il est blessé au bras par une balle explosive à cent mètres des lignes franquistes. Hospitalisé à Barcelone, il regagne Aulnay-sous-Bois en . Mutilé, il doit désormais exercer le métier de réparateur de faïences[8].
Du 11 au , Saïl participe au congrès de l’Union anarchiste, dans laquelle il intervient pour rappeler les conditions de lutte en Espagne. Lucien Feuillade, qui a retranscrit les propos de cette séance du congrès, a remplacé les propos de Saïl, qui comme à son habitude utilise des termes crus : « Pour avoir un fusil, j’aurais léché le cul d’un garde mobile », par « ..., j’aurais fait toutes les concessions ». (Le Libertaire no 575, ). Saïl continue son travail de militant. À nouveau arrêté pour « provocation de militaire », il est condamné en décembre 1938 à dix-huit mois de prison.
Durant la Seconde Guerre mondiale
Pour avoir, en , distribué des tracts contre la guerre, il est condamné à dix-huit mois de prison. En 1939, pour le même motif, il est arrêté et interné. C’est au cours de cette arrestation que sa bibliothèque est saisie, puis dispersée.
En 1941, il aurait été détenu au camp de Riom-ès-Montagnes (Cantal). Il aurait par la suite participé à la fabrication de faux papiers pour les compagnons recherchés[11]. Athée[12], il anime un groupe anarchiste au sein de la grande mosquée de Paris[13].
de 1945 à son décès en 1953
Dès la Libération, Saïl reconstitue le groupe d’Aulnay-sous-Bois et essaye de reformer des comités d’anarchistes algériens. Il rejoint la CNT-AIT à sa création en 1946 et tient dans Le Libertaire une chronique de la situation en Algérie. En 1951, il est nommé responsable au sein de la commission syndicale aux questions nord-africaines. Il produit une série d’articles sur « Le calvaire des indigènes algériens ».
Dans les conflits qui déchirent la Fédération anarchiste francophone en 1952-1953, il soutient, par ouvriérisme, la prise de pouvoir par la tendance communiste libertaire de Georges Fontenis qui crée la Fédération communiste libertaire[14]: « Mon vieux Fontenis, lui écrivait-il en , vous êtes jeunes pour la plupart des camarades dits majoritaires, et c’est pourquoi vous ignorez que vous êtes, vous, dans la véritable ligne traditionnelle de l’anarchisme »[8].
Appels aux travailleurs algériens, textes recueillis et présentés par Sylvain Boulouque, Groupe de Fresnes-Antony de la Fédération anarchiste, 1994, notice.
À bas l'indigénat, Le Flambeau, no 22, 1er-, texte intégral.
Le centenaire de la conquête de l’Algérie, La Voie libertaire no 30, , texte intégral.
À l’opinion publique, La Voix libertaire no 55, , texte intégral.
L'étrange étranger, Écrits d'un anarchiste kabyle, textes réunis par Francis Dupuis-Déri, collection Instinct de liberté, Lux Éditeur, Montréal (Québec), 2020, 176 p.
Bibliographie
Philippe Bouba, L’Anarchisme en situation coloniale, le cas de l’Algérie. Organisations, militants et presse, 1887-1962, thèse de doctorat en histoire et histoire de l'art, sous la dir. de Michel Cadé et de Hassan Remaoun, univ. de Perpignan et univ. d'Oran Es-Senia (Algérie), 2014, 364 p, lire en ligne
Dictionnaire Biographique de la Kabylie, Ina-Yas/Edisud, p. 190–191, (ISBN2-7449-0234-9).
Edouard Waintrop, Ces Arabes, héros perdus de la guerre d'Espagne. Portraits de combattants républicains qui ont souffert du racisme de leur propre camp, Libération, , texte intégral.
Benjamin Stora, Nationalistes algériens et révolutionnaires français au temps du Front populaire, L'Harmattan, 1987, page 55.
↑Nicolas Rouleau, « Colère, j’écris ton nom », sur Lux Éditeur | maison d'édition indépendante | publication d'ouvrages à caractère critique en sciences humaines, (consulté le )