Les scolytes sont de petits insectes de l'ordre des coléoptères. Ils font partie d'une grande famille renfermant des insectes dits « ravageurs », les curculionidés. Leur corps de deux à cinq millimètres est cylindrique et court, de couleur brun foncé à rougeâtre et recouvert par les élytres qui protègent leurs ailes. Leur nom vient du grec skôlêx, terme des auteurs antiques désignant un ver mais aussi une larve d'insecte, celle des scolytes étant caractéristique (larve apode, molle, blanchâtre et arquée)[2].
Certaines espèces de scolytes (par exemple : Dendroctonus ponderosae) sont à l'état adulte attirées par certaines hormones de stress (phytohormones) émises par des arbres malades ou déshydratés[3], les autres le sont par l'odeur du bois mort.
Sur les quelque 6 000 espèces connues dans 247 genres, la plupart sont phytophages, se nourrissant principalement ou uniquement sur des angiospermes. Pas plus de 10 % sont xylophages (les femelles pondent sous l'écorce des arbres et les larves se nourrissent de leur sève, ce qui peut mener à la mort de l'arbre, moins de 1 % de ces espèces pouvant tuer des arbres vivants et sains)[4].
Comme beaucoup d'insectes xylophages ou saproxylophages (comme les fourmis et les termites), le scolyte ne peut directement digérer le bois en raison de la présence de lignine et de cellulose. Il emporte donc avec lui, de l'arbre où il est né, une provision de spores et/ou de mycélium d'un champignon symbiotique capable de digérer ces polymères. Le transport se fait grâce aux mycangia (sing. mycangium), invaginations de la cuticule souvent garnie de glandes qui semblent nourrir et/ou préserver les spores ou fragments de mycélium. Des spores de champignons peuvent être aussi captées, transportées et inoculées grâce aux poils microscopiques qui garnissent la carapace et les pattes du scolyte[5]. Ce champignon symbiote attaque la lignine et la cellulose, qui sont ainsi comestibles pour la larve du scolyte. Chez certaines espèces de Scolytinae et chez les Platypodinae, ce ne sont pas les fibres végétales prédigérées qui sont ingérées par la larve, mais plutôt le champignon lui-même. Certaines espèces de scolytes (e.g. Dendroctonus frontalis) n'ont pas de mycangium, mais elles transportent sur leur corps des acariens qui eux possèdent une sorte de mycangium (qu'on appelle sporothèque chez les acariens pour des raisons historiques de vocabulaire taxonomique).
De nombreuses espèces de scolytes sont, comme les hyménoptères, haplodiploïdes : les femelles sont diploïdes (provenant d'œufs fécondés) et les mâles haploïdes (provenant d'œufs non fécondés et ils sont donc parthénogénétiques).
Système de galeries
Ce sont généralement les femelles qui, grâce à leurs mandibules en forme de gouge, forent les orifices d'entrée dans l'écorce d'arbres de ponte, les mâles collaborant en dégageant les débris. Ils produisent des phéromonesagrégatives, qui attirent des congénères des deux sexes. Le taraudage de la galerie de pénétration forme un canal d'abord radial ou oblique, avant de s'infléchir pour suivre une zone de moindre résistance (courbure d'un cerne de croissance). La littérature scientifique décrit aussi le forage de galerie alimentaire ou de galerie de maturation. Pour se reproduire, les mâles, parfois aidés des femelles, forent une chambre nuptiale. Lors d'une colonisation réussie, une ou plusieurs femelles (selon que l'espèce est monogame ou polygame) pénètrent dans la chambre nuptiale aménagée où se déroule l'accouplement avec le mâle. Depuis la chambre nuptiale, chaque femelle fore une galerie maternelle (appelée aussi galerie de ponte) de longueur variable (généralement quelques centimètres) dans le sens des fibres du bois (verticalement si l’arbre est encore debout), ce qui donne plusieurs branches partant de la chambre nuptiale (le nombre de branches correspondant au nombre de femelles fécondées). Elle y aménage des trous d'aération et dépose ses œufs (d'une dizaine à plusieurs centaines selon l'espèce) dans des encoches de ponte de part et d'autre de la galerie. Dès l'éclosion, la larve creuse à partir de l'encoche une galerie légèrement sinueuse (appelée galerie larvaire) qui s'élargit progressivement jusqu'à son extrémité où elle forme une niche appelée berceau de nymphose. Après la mue de la larve en imago, le jeune scolyte poursuit le forage cortical en creusant de nombreux couloirs et perçant un trou dans l'écorce pour partir essaimer. L'essence de l'arbre, la forme et la taille des galeries, permettent à un œil averti de déterminer l'espèce de scolyte responsable. À mesure que la densité des galeries augmente, une phase de dépérissement des arbres commence. L'écorce perd alors ses capacités de défense physique et chimique. Elle se détache sous l'effet de ces forages larvaires et finit par tomber, révélant le réseau de galeries qui dessinent de grands motifs rappelant des graffitis sous l'écorce[6].
Le typographe est un scolyte de l'écorce qui produit une sciure brune de bois (couleur due au brunissement tannique)[8].
Système de galeries. A:coléoptère sur l'écorce, B:trous de ventilation, C:chambre nuptiale, D:♀ forant sa galerie de ponte, E:♂ déblayant la sciure.
Texte sous les images
Dégâts
En temps normal, le scolyte joue un rôle utile pour la régénération forestière. Dans un cas particulier, des scolytes ont colporté d'orme en orme un nouveau variant — extrêmement phytopathogène — du champignon Ophiostoma ulmi ; ce champignon ayant peut-être été favorisé par la forte sécheresse de 1975-1976 et par l'homogénéité génétique des ormes d'alignement et du bocage.
Un arbre en bonne santé dispose pour se défendre d'une batterie de molécules naturellement insecticides, bactéricides et fongicides et de défenses physiques (lignine dure, capacité à immobiliser, engluer et noyer dans la sève ou de la résine tout insecte s'introduisant ou se développant dans la partie superficielle de son tronc). Ce n'est plus le cas chez un arbre fendu, blessé ou déshydraté.
Des successions de canicules ou d'étés chauds et secs suivant des hivers anormalement doux semblent avoir favorisé — dans tout l'hémisphère nord — des pullulations de défoliateurs et de scolytes, que les monocultureséquiennes de résineux semblent aussi favoriser.
Après de grandes tempêtes ou une sécheresse anormalement longue et/ou importante, le scolyte peut se reproduire massivement sur les chablis, les arbres déshydratés, mutilés, blessés ou affaiblis. Les galeries de ces scolytes sont réputées être autant de « portes d'entrée » à d'autres organismes saproxyliques (qui consomment le bois mort ou vivant). Les scolytes ont longtemps été considérés comme des « nuisibles ». Pourtant, lors des années de sécheresse intense, parfois après une ou plusieurs vagues de défoliation par des insectes défoliateurs (également attirés par les hormones de stress émises par les arbres), les scolytes jouent un rôle majeur dans la résilience écologique de la forêt.
Si d'autres insectes ont d'abord défolié, éventuellement plusieurs années de suite, les arbres les plus fragiles ou incapables de diminuer leur évapotranspiration, bloquant leur photosynthèse et leur croissance, les scolytes attirés par les hormones de stress de l'arbre vont, eux, les tuer si la sécheresse s'aggrave ou se prolonge. En contribuant à tuer les arbres qui sont en état de stress hydrique aigu, des scolytes tels que Dendroctonus ponderosae jouent un rôle important dans l'écosystème forestier, en supprimant l'évapotranspiration et la respiration de ces arbres. Les scolytes limitent ainsi le pompage de l'eau dans le sol et la nappe superficielle par les arbres adultes, au profit des graines et des jeunes plants, tout en diminuant le risque d'incendie. Les scolytes accélèrent ensuite fortement la décomposition du bois mort, notamment de résineux, accélérant ainsi la formation d'un humus forestier favorable à la pousse des futurs arbres et à une meilleure rétention de l'eau dans le sol[9],[10].
Néanmoins, c'est surtout le risque phytosanitaire et la perte apparente de revenus que voit le sylviculteur ou le propriétaire forestier qui craignent toujours une pullulation d'insectes mangeurs de bois et/ou des champignons qui les accompagnent, pouvant engendrer une catastrophe plus étendue et plus dommageable que la tempête elle-même. Ces atteintes suivent souvent les périodes de fortes sécheresses ou de sécheresses répétées, et elles peuvent accroître de 30 % le volume d'arbres, morts ou mourants, renversés par les tempêtes qui suivront, et jusqu'à 50 voire localement 100 % si le vent est très violent[11].
Une espèce de scolyte, Tomicus piniperda, a un imago qui achève sa maturation en se nourrissant non pas dans l'écorce de l'arbre où il a effectué son développement larvaire, mais dans la moelle des pousses de pins, en limitant l'efficacité de la régénération.
Des programmes d'incendies contrôlés sont encouragés au Canada[12] et localement obligatoires en Suède[13]. Paradoxalement, la lutte contre les incendies a favorisé à la fois les scolytes et des incendies de plus en plus difficiles à maîtriser.
Traces de galeries de scolytes, Saint-Guilhem-le-Désert, Hérault, France.
Traces de galeries, avec quelques trous de sortie.
Certaines espèces pénètrent plus profondément le bois mort, avec leur champignon symbiote, accélérant la décomposition du bois.
La lutte contre les scolytes est délicate, d'abord du fait de leur mode de vie : ils passent en effet la plus grande part de leur vie sous l'écorce (où on leur connaît peu de prédateurs, hormis des bactéries ou acariens qui peuvent attaquer ses œufs[14]) ; ensuite parce qu'en les éliminant (par des insecticides), on permettrait aux arbres stressés de survivre, c'est-à-dire d'évapotranspirer plus longtemps, en continuant donc à épuiser la ressource en eau en temps de sécheresse (risque accru de maladies et de défoliation plus grave, mais aussi d'incendies aggravés).
Plusieurs modes de lutte sont possibles :
Lutte préventive : elle vise à ne pas encourager la pullulation de scolytes ; elle visera surtout à limiter tant que faire se peut le stress hydrique des arbres qui semble être une condition de pullulation du scolyte. Selon une étude slovène, l'application d'une dose précise, et dans certaines conditions de deux couches d'acide salicylique semble aussi renforcer les défenses immunitaires de l'arbre[15].
Limitation des « effets de lisières » et donc de la fragmentation des forêts par des routes et grandes coupes rases uniformes ; on a par exemple constaté que les épicéas poussant sur les lisières naturelles (falaises) ou artificielles (de coupes rases, routes, layons...) ou sur des zones sèches, notamment sur pentes, semblent présenter une sensibilité exacerbée au stress hydrique et aux scolytes et peut-être à des infestations par des défoliateurs (les perturbations micro-climatiques liées aux effets de lisières sont mesurables avec un simple thermo-hygromètre et visibles en photo-infrarouges. Dans ces zones, les attaques de scolytes semblent favorisées, selon des études qui demandent encore à être affinées[16].
Meilleure protection du sol, et si nécessaire sa restauration.
Meilleure gestion de l'eau, de manière à mieux la retenir en forêt, dès le haut des bassins versants (pour limiter l'impact des sécheresses), alors que depuis le Moyen Âge on a surtout drainé et asséché les forêts.
Biodiversité élevée des arbres, ce qui implique l'usage de sujets issus de souches locales et adaptées au substrat, nés de graines et non clonés ou bouturés) et leur plantation en mélange. Il semble qu'elle soit favorable à moins de pullulations et à une meilleure résilience, mais de nombreuses inconnues persistent en raison du réchauffement climatique attendu ; dans les forêts polonaises et biélorusses de Białowieskiej, les pullulations semblent toutes corrélées à des stress climatiques, mais elles restent localisées.
L'écorçage des grumes abattues, ou des arbres tombés après une tempête, permet d'éviter que des scolytes ne s'y installent et y pondent, leurs larves ne pouvant en effet vivre et grandir que sous l'écorce d'arbres fraîchement abattus ou tombés. Les adultes issus de ces larves pourront alors ensuite s'attaquer à des arbres proches et assez affaiblis pour y être vulnérables. En écorçant les grumes après abattage ou à la suite d'une tempête, on évite ou au moins on limite le développement des populations de scolytes.
Le débardage des arbres qui sont tombés en grande quantité, après une tempête ou des chutes de neige par exemple.
Le piégeage des adultes. Les adultes sont en effet attirés par les odeurs des arbres auxquels ils sont attachés (et en particulier des arbres malades ou en déficience physiologique, par exemple du fait d'une sécheresse). On peut donc attirer les adultes vers des pièges à phéromones ou qui reproduisent le spectre d'odeurs d'arbres malades. Mais, compte tenu du nombre très important d'insectes pouvant sortir de chaque arbre (jusqu'à plusieurs dizaines de milliers), et du nombre beaucoup plus restreint capté par ces pièges, cette méthode s'avère coûteuse car elle demanderait la pose de plusieurs pièges par arbre pour être efficace - ce qui est inenvisageable en forêt. En revanche, un tel piégeage peut être utilisé pour tenter de réduire les populations dans les parcs ou dans les vergers ou pour détecter un éventuel début de pullulation.
Hypothenemus hampei Ferr. (syn. Stephanoderes hampei) ou scolyte des cerises du caféier, originaire d'Afrique, mais présent dans la plupart des régions tropicales.
: document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
(en) Jakus, R., « A method for the protection of spruce stands against Ips typographus by the use of barriers of pheromone traps in north-eastern Slovakia », 1998, Anz. Schädlingskde., Pflanzenschutz, Umweltschutz, 71, 152-158
Beaulieu, Marie-Ève., « Caractérisation moléculaire des champignons ophiostomatoïdes associés à quatre espèces de scolytes de l'écorce colonisant l'épinette blanche au Québec et phylogénie multigénique d'une nouvelle espèce de Leptographium », , université Laval (télécharger)
Balachowsky A., Coléoptères Scolytides, 1949, 320 p., 345 fig. (faunedefrance.org)
Warzée N. & Grégoire J.C., « Biodiversité forestière et ennemis naturels des scolytes - Le cas exemplaire de Thanasimus formicarius », 2003, Forêt wallonne n° 66
(en) Fernando E. Vega, Richard W. Hofstetter, Bark beetles. Biology and ecology of native and invasive species, Elsevier Science, , 640 p. (lire en ligne)
↑(en) Lawrence R. Kirkendall, Peter H.W. Biedermann, Bjarte H.Jordal, « Evolution and diversity of bark and ambrosia beetles », dans Fernando E. Vega , Richard W. Hofstetter, Bark Beetles : Biology and Ecology of Native and Invasive Species, Elsevier Science, , p. 85-156.
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↑Vincent Albouy, Eric Darrouzet, Architectes du monde animal, Quæ, , p. 43-44.
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↑Daniel Vallauri, « Le bois mort, une lacune des forêts gérées », Revue forestière française, vol. 55, no 2, , p. 99-112 (lire en ligne)
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↑« Integrated risk assessment and new pest management technology in ecosystems affected by forest decline and bark beetle outbreaks ». Programme TATRY ; IC15-CT98-0151 (Voir photos infrarouges et légendes (en bas de page) (en).