Le théâtre africain est un riche paradoxe. D'abord, parce que l'Afrique se définit souvent comme un continent d'oralité (Amadou Hampâté Bâ).
Pourtant, ce que l'on nomme aujourd'hui « théâtre africain», un ensemble de formes culturelles artistiques bien vivantes, est un héritage de l'Afrique par les contes, comptines et déclamations des griots et griottes. En ce sens, le théâtre africain contemporain s'inscrit dans l'histoire actuelle du théâtre francophone, anglophone ou lusophone.
Mais en même temps, il y a dans le théâtre africain une pluri-disciplinarité (théâtre, conte, musique et danse y sont fréquemment mêlés de façon indissociable), et une étonnante vitalité, notamment au niveau de l'écriture.
Histoire
Théâtralité traditionnelle
Bien qu'il existe d'innombrables traces d'écritures africaines au cours des siècles qui précédèrent la colonisation, la transmission des savoirs y est dans bien des pays rituellement basée sur des contes. Dans les villages, autour de l'arbre à palabres les anciens, et les notables, se réunissent pour organiser la vie en commun de leurs concitoyens. Et ces arbitrages prennent souvent la forme de contes musicaux, plus ou moins théâtralisés.
Il y a donc ainsi une théâtralité africaine traditionnelle et ancestrale.
La figure du griot, ou son équivalent dans diverses traditions, paraît fondamentale.
Accompagné du mvett (harpe-cithare), le mbom-mvett, barde/conteur/joueur, déclame des récits héroïques, Mvett, du peuple fang.
Divers instruments musicaux, dont le sistre, le tambourin, le djembé, sont associés à des cérémonies religieuses accompagnées éventuellement de transes et de transports extatiques.
L'école coranique puis l'école occidentale introduisent des pratiques nouvelles, dont la récitation (Coran), la mise en scène de récits, fables, contes. On pourrait parler comme d'un théâtre scolaire (à destination des enfants).
Pour l'école
L'Afrique est donc ainsi dépossédée de certaines formes d'expression artistique dramatisée, reléguées à la collecte ethnographique. C'est en partie le cas de la forme dramaturgique du conte , et de sa portée éducative.
Dans certaines régions, un théâtre religieux se développe, à destination des adultes, géré par les religieux.
Développement culturel
Malgré tout, le spectacle vivant continue, durant la colonisation, et après les indépendances : chants, danses, acrobaties, conteurs, sketchs/saynètes, farce, satire, théâtre chanté, marionnettes, carnaval, arts de la rue, improvisation... Avec les risques de censure, d'autocensure, de répression, d'exil.
La langue coloniale (allemand, anglais, français, portugais...) est utilisée en partie pour accéder par traduction aux ressources du monde extérieur à l'Afrique. Les influences sont multiples : acculturation, inculturation, marronnage, nègrerrances, hybridation, métissage, appropriation, récupération, détournement, retournement, tout-monde... La langue de performance au théâtre peut, et dans certains cas doit, évidemment être régionale. L'ambition est d'être à la fois local et universel.
Les figures emblématiques, comme Sony Labou Tansi (en francophonie), sont des arbres dans la forêt des dramaturges africains.
De plus, peut-être parce que le théâtre est affaire de conflits (en grec, drama = action, conflit), les artistes de théâtre, bien que minoritaires, et confrontés à d'immenses difficultés matérielles, sont souvent aux avant-postes des politiques de développement culturel en Afrique. Ainsi, on leur doit une bonne partie des équipements culturels privés de qualité susceptibles de fleurir sur le continent (l'actor studio du metteur en scène ivoirien Sidiki Bakaba, le Village Ki Yi d'Abidjan (Côte d'Ivoire), le Festival International de Théâtre au Bénin, le Carrefour international de théâtre de Ouagadougou (Burkina Faso), l'Espace Linga Tere de Bangui (République centrafricaine), l'Espace Megablon et le Festival des réalités de Bamako (Mali), le Théâtre des Intrigants et l'Écurie Maloba de Kinshasa en Congo, les Rencontres de théâtre International du Cameroun à Yaoundé, le FITMO à Ouagadougou (Burkina Faso)[1], les récréatrales à Ouagadougou (Burkina Faso)[2], le FEST'ART (festival International Théâtre Pour la Paix (au Sénégal)...).
En outre, une large part de l'activité des artistes de théâtre africain est orientée vers le théâtre « utile » (théâtre de sensibilisation, théâtre forum...).
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