En termes de matrice, cela signifie que si A est une matrice carrée d'ordre n et si
est son polynôme caractéristique (polynôme d'indéterminéeX), alors en remplaçant formellement X par la matrice A dans le polynôme, le résultat est la matrice nulle[1] :
Le théorème de Cayley-Hamilton s'applique aussi à des matrices carrées à coefficients dans un anneau commutatif quelconque.
Bien qu'il porte les noms des mathématiciens Arthur Cayley et William Hamilton, la première démonstration du théorème est donnée par Ferdinand Georg Frobenius en 1878, Cayley l'ayant principalement utilisé dans ses travaux, et Hamilton l'ayant démontré en dimension 2.
Motivation
Ce théorème possède deux familles d'utilisation :
Il permet d'établir des résultats théoriques, par exemple pour calculer le polynôme caractéristique d'un endomorphisme nilpotent.
Il autorise aussi des simplifications puissantes[Quoi ?] dans les calculs de matrices. L'approche par les polynômes minimaux est en général moins coûteuse que celle par les déterminants.
et cette relation peut être rapidement vérifiée dans ce cas.
De plus le théorème de Cayley-Hamilton permet de calculer les puissances d'une matrice plus simplement que par un calcul direct.
Reprenons la relation précédente
Ainsi, par exemple, pour calculer A4, nous pouvons écrire
et il vient
.
On peut également utiliser la relation polynomiale initiale pour prouver l'inversibilité de A et calculer son inverse. Il suffit en effet de mettre en facteur une puissance de A là où c'est possible et
ce qui montre que A admet pour inverse
Démonstrations
Il existe de très nombreuses démonstrations de ce théorème[2]. La plus simple dans son principe consiste à remarquer que le résultat est presque évident pour une matrice diagonale, puis à le démontrer pour une matrice diagonalisableA (en remarquant qu'alors est semblable à , et que deux matrices semblables ont même déterminant) ; on conclut en exploitant le fait que sur les complexes, l'ensemble des matrices diagonalisables est dense[3]. Malheureusement, cette démonstration ne se généralise pas aux corps scalaires topologiquement discrets.
Une preuve purement algébrique
Quelle que soit la matrice , il existe une matrice explicitement déterminée, Comp(S), la matrice complémentaire de S, qui vérifie . La matrice Comp(S) est la transposée de la comatrice ou matrice des cofacteurs de S. Cette relation reste encore vraie si les coefficients de S appartiennent à un anneau, puisqu'on n'a pas fait de divisions. On peut donc poser , dont les coefficients sont dans et on a alors la relation :
À partir de (1), en écrivant
avec , et
On peut développer le produit :
qui est identique à
Les polynômes (2) et (3) sont égaux. Par conséquent,
La preuve ne consiste pas en une substitution de X par A dans des égalités de polynômes (ce qui reviendrait à comparer un polynôme et un polynôme matriciel), mais en une identification de leurs coefficients.
Une variante
On peut également aligner des idées abstraites.
On commence par introduire un morphisme d'évaluation approprié à la résolution du problème. Tout d'abord, étant une algèbre commutative sur , on a un morphisme d'évaluation : (qui envoie sur et sur pour tout scalaire λ). Ce morphisme d'anneaux commutatifs induit un morphisme d'évaluation sur les anneaux de matrices .
Une notation auxiliaire nous sera utile : pour deux matrices carrées (n,n) notées et , on notera la matrice à coefficients matriciels de terme général . Si le lecteur connaît le produit de Kronecker de deux matrices, il pourra remarquer que est pratiquement identique à à ceci près que est une matrice (n,n) dont les coefficients sont des matrices (n,n) tandis que est une matrice (n2,n2). Les formules ci-dessous ne contiennent de fait que deux cas particuliers de cette opération : des produits de la forme c'est-à-dire des matrices carrées avec des C sur la diagonale et des 0 ailleurs et un produit c'est-à-dire une variante de A où la matrice vient remplacer le coefficient .
Cette notation posée, on applique le morphisme d'évaluation à la relation :
On obtient une relation
dans laquelle M est une certaine matrice à coefficients dans dont on n'aura besoin de rien savoir.
Ainsi on a écrit une formule juste, et on en pâtit : on n'a du coup pas fini, l'évaluation de par une technique rigoureuse ne fournit pas 0 mais une bizarre matrice à coefficients matriciels.
Il faut une deuxième idée pour conclure. Elle consiste à remarquer que si est un anneau et E un -module à droite, pour tous entiers r, s, t on peut définir par les formules habituelles un produit matriciel :
pour laquelle on a associativité si on veut calculer des produits à trois termes :
On applique cette notion à (pour les puristes à ) qui est un module (dont la multiplication s'écrit spontanément à gauche mais peut l'être à droite si on préfère, l'anneau étant commutatif) sur l'anneau commutatif , la multiplication externe étant l'application : définie par (ce BE étant le produit matriciel ordinaire de la matrice carrée B par la matrice colonne E).
On multiplie à gauche la relation par le vecteur ligne où désigne la base canonique de : en utilisant l'expression de droite dans on obtient le vecteur ligne .
Si maintenant on utilise l'expression de gauche dans et qu'on déplace les parenthèses par associativité de la multiplication matricielle un peu inhabituelle décrite ci-avant, on est amené à calculer le produit :
Pour chaque indice j, on ne peut que constater que sa j-ème composante vaut :
.
En multipliant ceci à droite par l'inoffensive matrice M et en comparant les deux expressions du produit, on conclut que pour tout indice j, p(A)ej=0.
La preuve qui a été donnée évite la substitution de par une matrice dans un contexte non commutatif, mais les manipulations effectuées sont quand même proches de cette idée : on a bien décomposé l'équation en composantes suivant les puissances de , on a multiplié à gauche par la composante qui était en facteur de , et on a additionné tout ensemble. En fait, on a utilisé l'opération définie en (5), sans supposer qu'il s'agisse d'un homomorphisme d'anneaux, de dans . L'opération est une évaluation à gauche, parce que la multiplication par l'indéterminée scalaire est remplacée par la multiplication à gauche par .
Une autre observation est importante : la forme exacte du polynôme n'a aucune importance. Il y a donc quelque chose à exploiter ici, ce que n'ont pas manqué de faire les mathématiciens.
Soit un anneau non commutatif ; on peut définir une division euclidienne d'un polynôme par un polynôme unitaire. Plus précisément, il existe deux polynômes , avec de degré strictement inférieur au degré de , tels que
La démonstration est entièrement analogue à celle du cas scalaire. Si , alors le reste est de degré , et donc identique à une constante appartenant à . Mais dans ce cas, en raisonnant exactement comme dans la démonstration du théorème de Cayley-Hamilton, on arrive à la conclusion
.
Il s'ensuit que est nul si et seulement si est divisible à gauche par .
La démonstration du théorème de Cayley-Hamilton donne aussi une autre information : le polynôme est le quotient à gauche de par . Comme et appartiennent tous deux au sous-anneau commutatif , la division à gauche se passe entièrement dans ce sous-anneau, c'est donc une division ordinaire. En particulier, les coefficients matriciels de sont des combinaisons linéaires de puissances de . En d'autres termes, la matrice complémentaire d'une matrice est un polynôme en , ce qu'il n'est pas facile de déduire directement de la définition d'une matrice complémentaire. Mieux, on peut calculer explicitement ses coefficients à partir de ceux du polynôme caractéristique , puisqu'il s'agit de faire une division euclidienne ordinaire, et on trouve
On aurait pu également obtenir cette relation directement à partir du théorème de Cayley-Hamilton, en vertu de l'identité
.
Abstraction et généralisations
La preuve donnée ci-dessus n'utilise que les propriétés d'anneau commutatif du corps K, puisqu'elle ne comporte pas de division par des éléments de cet anneau mais s'appuie juste sur la formule de Laplace, valide pour une matrice à coefficients dans n'importe quel anneau commutatif B. On peut donc généraliser le théorème de Cayley-Hamilton à ce cas, en utilisant la formule de Laplace pour des matrices à coefficients dans l'anneau B = R [X], R étant un anneau commutatif quelconque :
Pour toute matrice carrée A de taille nxn à coefficients dans un anneau commutatif R, si l'on note
,
on a :
.
Soit alors M un module de type fini sur cet anneau R (l'analogue de la notion d'espace vectoriel de dimension finie sur un corps, mais sans l'existence de bases : M a seulement des familles génératrices finies), et soit φ un endomorphisme de M, le théorème de Cayley-Hamilton permet de construire comme suit des polynômes en φ qui s'annulent sur M : soit (e1, e2, ... , en) une famille génératrice de M. On peut trouver des éléments de R tels que
et on note A la matrice nxn formée de ces coefficients. Cette matrice n'est pas unique, même pour une famille génératrice fixée, puisqu'on n'a pas supposé libre cette famille. Néanmoins, de la formule on déduit que .
Parmi les multiples démonstrations[2] du théorème de Cayley-Hamilton dans le contexte des anneaux commutatifs, soulignons l'élégance de la démonstration générique[5], dont le principe est abstrait mais courant en algèbre[6],[7] : elle repose sur la remarque que pour les matrices carrées A de taille n fixée, l'identité est un système de n2 identités polynomiales universelles en les coefficients de A. C'est-à-dire que pour toute matrice A de coefficients dans n'importe quel anneau commutatif, où désigne une certaine matrice carrée de taille n à coefficients dans l'anneau de polynômes à n2 indéterminées (cette matrice universelle U est indépendante de A car elle résulte juste des formules de développement du déterminant et des puissances de matrices n×n). Pour démontrer le théorème pour n'importe quelle matrice A dans n'importe quel anneau commutatif, il suffit donc de vérifier que cette matrice est nulle, c'est-à-dire de démontrer le théorème pour une seule matrice : la matrice Y dont les coefficients sont les , éléments de l'anneau R.
Le polynôme V(X) est à racines simples dans K car son discriminant est non nul[8]. En effet, puisque le résultant de deux polynômes de degrés donnés s'écrit comme un polynôme universel en leurs coefficients, le discriminant de V(X) s'écrit lui aussi comme un polynôme universel tel que pour toute matrice A, le discriminant de soit égal à . Or il existe des matrices A pour lesquelles : par exemple la matrice diagonale à coefficients entiers, de diagonale 1, 2, ... , n.
La matrice Y est donc diagonalisable sur K : avec P inversible et D diagonale, donc pour D le théorème de Cayley-Hamilton est immédiat, ce qui permet de conclure :
↑Une erreur naïve consiste à dire, pour une matrice A fixée : on remplace X par A dans la formule qui définit p(X), ce qui donne p(A) = det(AIn – A) = det(0) = 0. L’erreur réside dans l’ordre des étapes « évaluation du déterminant » et « substitution de A à X ». D'ailleurs, det(AIn – A) est un scalaire alors que la véritable valeur de p(A) est une matrice. Il est vrai qu'ici, la matrice est nulle (d'après le théorème) et le scalaire aussi (trivialement), mais on trouve facilement des exemples du même type où l'un est nul et pas l'autre, comme et q(X) = det(A + XI2).
↑V. Beck, J. Malik et G. Peyré, Objectif agrégation, H&K, , p. 221
↑Cette preuve est celle qui figure dans Introduction to commutative algebra, M. F. Atiyah et I. G. Macdonald, Addison-Wesley, (ISBN0-201-00361-9), p. 21.
↑Jean-Pierre Escofier, Toute l'algèbre de la Licence : Cours et exercices corrigés, Dunod, , 3e éd. (lire en ligne), p. 539, exercice 20.11.
↑Henri Lombardi et Claude Quitté, Algèbre commutative — Méthodes constructives — Modules projectifs de type fini, Calvage & Mounet, (1re éd. 2011) (arXiv1611.02942, présentation en ligne), p. 96-97.