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Le mot canon vient du grec ancien κανών / kanṓn, signifiant « règle, modèle, principe[1] ».
Paul de Tarse utilise le terme κανών / kanṓn pour désigner à la fois les limites des territoires à évangéliser qui lui sont impartis (2 Co 10,13-16) et la règle de conduite impartie aux chrétiens (Ga 6,16).
Au IVe siècle, le sens de ce mot est mis en rapport avec la Bible. Il s'agit alors des livres de l'Ancien Testament et du Nouveau Testament reconnus par l'Église et qui sont deux expressions nouvelles signalées :
L'idée d'un canon de la Bible hébraïque (nommée « Ancien Testament » par Justin de Naplouse pour appuyer l'appropriation de ces textes par l'Église catholique) ne s'impose qu'après le Synode de Jamnia (ou Yabnah ou Yabneh), c'est-à-dire à la fin du Ier siècle, après la destruction du Second Temple par les Romains. Auparavant, le concept d'une liste close (au sens de complète et définitive)
des livres repris dans la Septante est inconcevable[4].
Hypothèse du canon de Jamnia
Dans le Contre Apion (I:38-40), Flavius Josèphe donne une liste de 22 livres composant le canon des écritures juives. Elle comprend :
Après concile de Jamnia, le milieu rabbinique tannaïte, qui rédige la Mishna, se vit comme l'héritier naturel de toutes les traditions antérieures, qu'elles soient saducéennes, esséniennes ou, bien évidemment, pharisiennes. Toutefois, pour le milieu de Gamaliel II, l'attitude apocalyptique des « membres du Mouvement de Jésus » selon l'expression de Jacques Schlosser (professeur à la Faculté de théologie catholique de Strasbourg), en fait un danger pour les relations avec l'occupant romain. En outre, ce sont des minim (sectaires), en cela qu'ils concentrent l'accès à l'alliance sur le baptême. De ce point de vue, ils se désintéressent de l'ensemble du peuple juif, et de facto, ils sont une secte réformatrice et séparée comme l'étaient par exemple les Esséniens[5].
Hypothèse de Sundberg (1964)
À partir d'un consensus établi autour d'une canonisation en 3 phases :
une première phase vers 400 avant l'ère commune concernant le Pentateuque
une deuxième phase vers 200 avant l'ère commune concernant les Prophètes
une troisième phase vers 90 avant l'ère commune concernant les Autres écrits,
Albert C. Sundberg, Jr envisage, à partir de 1964, une hypothèse plus complexe[6].
Hypothèse de Thackeray (1921)
Henri St. John Thackeray est un grammairien. Il a travaillé essentiellement sur la Septante, c'est-à-dire sur la Bible en grec. En 1921, il publie : The Septuagint and Jewish Worship; A Study in Origins, (The Schweich Lectures of the British Academy).
Hypothèse de Leman Beckwith
Leman Beckwith : The Old Testament of the Early Church, Harvard theological Studies, no 20
Construction du canon du Nouveau Testament
Deux thèses successives sont actuellement en voie de synthèse.
L'influence de Marcion fut déterminante dans la constitution d'un canon.
Thèse d'Albert C. Steinberg
Selon l'ouvrage The Old Testament of the Early Church d'Albert C. Steinberg, il n'y eut jamais de canon Alexandrin de la Septante.
L'opportunité d'une liste close n'interroge les chrétiens qu'à partir de la toute fin du IVe siècle. Elle n'intéresse réellement que les Églises occidentales. Les canons de l'Ancien Testament des Églises latines et des Églises grecques, évoluent parallèlement. Jusqu'au IVe siècle, on parle de canon ouvert et postérieurement de canon fermé.
Toutefois Steinberg date le fragment de Muratori du IVe siècle et lui donne une origine orientale. Ces caractéristiques en font une liste parmi toutes les autres et lui retirent son statut de liste inaugurale. Cette conception élimine le long débat entre les Églises et attribue la fermeture du canon à une autorité ecclésiastique.
Naissance du texte massorétique
Le texte massorétique actuel de la bible hébraïque est contemporain de l'écriture de la Mishna, c'est-à-dire le fruit du travail des docteurs du IIe siècle et des suivants, quoiqu'un texte proto-massorétique soit connu dès 150 avant l'ère commune.
Ce travail de grammairiens : la vocalisation du texte qui enregistre parmi les diverses prononciations possibles de chaque mots hébreux (dont seules les consonnes sont écrites) celle qui est retenue, et donc le mot qui est retenu, se poursuit jusqu'au Xe siècle ; le manuscrit de Saint-Pétersbourg (Codex Leningradensis) qui date du Xe siècle et sert de base aux bibles d'étude en hébreu, est un témoin de ce travail.
Le canon de Marcion (vers 150)
Les tentatives de définir un canon de Marcion puis de Tatien sont clairement des précurseurs du premier canon chrétien[9].
Le canon de Marcion précède le canon officiel chrétien. Il rejette toute référence à l'Ancien Testament et ne garde des écrits qui circulent que :
Les épîtres de Paul, dont il ne connaît que 10 sur 13 du canon officiel postérieur,
Une version expurgée de l'évangile selon Luc (que Marcion tient pour un compagnon de Paul.)
Troublé par le fait qu'on commence à retenir quatre évangiles présentant quatre témoignages différents sur les dits et les faits de Jésus, Tatien entreprend de les fondre en un seul récit continu et cohérent[10], ne retenant que ce qui leur est commun, gommant par cette sélection tout ce qui est divergent, qu'il considère comme dépourvu de sens autre qu'anecdotique. La liberté avec laquelle il les utilise, semblable à celle dont usèrent les auteurs de selon Luc et selon Matthieu dans leur reprise de selon Marc montre qu'à l'instant où il écrit, les quatre grands évangiles ne sont pas encore sacralisés.
« Par ailleurs, il ne peut y avoir ni un plus grand ni un plus petit nombre d'Évangiles [quatre]. En effet, puisqu'il existe quatre régions du monde dans lequel nous sommes et quatre vents principaux, et puisque, d'autre part, l'Église est répandue sur toute la terre et qu'elle a pour colonne et pour soutien l'Évangile et l'Esprit de vie, il est naturel qu'elle ait quatre colonnes qui soufflent de toutes parts l'incorruptibilité et rendent la vie aux hommes. D'où il appert que le Verbe, Artisan de l'univers, qui siège sur les Chérubins et maintient toutes choses, lorsqu'il s'est manifesté aux hommes, nous a donné un Évangile à quadruple forme, encore que maintenu par un unique Esprit[11]. »
Pour l'Église catholique, c'est le concile de Trente (1545 - 1563) qui a définitivement confirmé le canon des Écritures, en énumérant par décret les livres reconnus comme inspirés (et par conséquent, en rejetant ceux qui ne le sont pas).
Cette décision fut entérinée à cause de la Sainte Tradition. C'est dans sa IVe session, en 1546, que le concile de Trente a donné cette liste canonique des Livres considérés comme saints qui doivent être reçus par tous (les noms et les attributions des livres sont les noms et les attributions traditionnels, par conséquent, un nom de livre et une attribution d'auteur ne requièrent pas nécessairement une adhésion dogmatique, dite de foi; seul le contenu des livres requiert l'adhésion de foi). Le Catéchisme de l'Église catholique (1991) qualifie ce canon de « liste intégrale » (art. 120), c'est-à-dire fixe et pour toujours.
Dans sa Lettre festale XXXIX, en 367, Athanase d'Alexandrie cite les vingt-sept livres du Nouveau Testament. Il indique que les livres qui seront beaucoup plus tard appelés deutérocanoniques par Luther au XVIe siècle dans son désaccord avec l'Église catholique, ainsi que la Doctrine des douze apôtres (la Didachè), et le Pasteur d'Hermas, (aujourd'hui rangés parmi les écrits des Pères apostoliques), ne sont pas inclus dans le canon mais doivent « être lus ».
Les Grecs finissent par accepter l'intégralité du canon occidental au concile in Trullo en 692[12], c'est-à-dire tous les livres présents dans la Bible catholique, y compris les deutérocanoniques, et recommandent également la lecture des livres d'Esdras 3 et 4, Maccabées 3 et 4, le psaume 151, et la "prière de Manassé".
Le canon protestant de l'Ancien Testament comprend les mêmes livres que le canon juif de la Bible hébraïque, bien qu'il divise certains livres et les ordonne différemment, ce qui le distingue des canons orthodoxe et catholique, qui ont fait le choix de suivre la Septante. Le canon protestant de l'Ancien Testament comprend ainsi 39 livres[13].
Les raisons qui ont conduit les réformateurs à adopter le canon hébreu des Écritures plutôt que le canon élargi des livres de la Septante grecque ou de la Vulgate latine sont les suivantes :
1 Pour ce qui concerne le texte lui-même, ni Jésus ni aucun des auteurs du Nouveau Testament ne font de citations directes de la Vulgate ou de la Septante.
2 Pour ce qui concerne les dogmes, certains des livres deutérocanoniques contiennent des textes qui soutiennent le purgatoire (2 Macc. 12:43-45) et l'efficacité de l'aumône pour couvrir ses péchés (Tobie 4:7-11 ; 12:8-9 ; 14:10-11 ; Siracide 3:30 ; 35:2)[14].
Ancien Testament : Genèse, Exode, Lévitique, Nombres, Deutéronome, Josué, Juges, Ruth, I Samuel, II Samuel, I Rois, II Rois, I Chroniques, II Chroniques, Esdras, Néhémie, Esther, Job, Psaumes, Proverbes, Ecclésiaste, Cantique des Cantiques, Ésaïe, Jérémie, Lamentations de Jérémie, Ézéchiel, Daniel, Osée, Joël, Amos, Abdias, Jonas, Michée, Nahum, Habaquq, Sophonie, Aggée, Zacharie, Malachie.
Nouveau Testament : Évangiles selon Matthieu, Marc, Luc, Jean; Actes des Apôtres, Épîtres de Paul aux: Romains, Corinthiens I, Corinthiens II, Galates, Éphésiens, Philippiens, Colossiens, Thessaloniciens I, Thessaloniciens II, Timothée I, Timothée II, Tite, Philémon; Hébreux, Jacques, I et II Pierre, I, II et III Jean, Épître de Jude, Apocalypse[15],[16].
Selon les églises réformées, le canon est une collection de livres faisant autorité par eux-mêmes . Ces livres avaient leur autorité avant d'être canonisés par l'Église. Mais dans le sens le plus élémentaire, ni les individus ni les conciles n'ont créé le canon. Au contraire, ils en sont venus à percevoir et à reconnaître la qualité de ces écrits, qui se sont imposés comme canoniques. Cette conviction de leur autorité divine "vient de l'œuvre intérieure du Saint-Esprit, témoignant par, et avec, la Parole dans nos cœurs" (Confession de Westminster, 1.5)[17].
Écrits mentionnés dans la Bible mais qui ne se trouvent pas dans ce qui a été transmis
les Guerres de l'Éternel (No 21:14)
le Livre du Juste (Jos 10:13 ; 2 S 1:18)
le Livre des actes de Salomon (1 R 11:41)
le Livre de Samuel le voyant (1 Ch 29:29)
le Livre de Nathan le prophète (1 Ch 29:29 ; 2 Ch 9:29)
une (première) lettre aux Corinthiens (1 Cor 5 : 9)
etc.
Notes et références
↑Anatole Bailly ; 2020 : Hugo Chávez, Gérard Gréco, André Charbonnet, Mark De Wilde, Bernard Maréchal & contributeurs, « Le Bailly », (consulté le ).
↑Lettre festale XXXIX, d'Athanase. La lettre festale est un écrit envoyé par l'évêque aux fidèles de son diocèse à l'occasion de la fête de Pâque et dans laquelle il leur mande diverses choses.
↑Thomas Römer, Jean-Daniel Macchi, Christophe Nihan, Introduction à l'Ancien Testament, Labor et Fides, , p. 19.
↑Albert C. Sundberg, Jr., The Old Testament of the Early Church, Revisited, Festschrift in Honor of Charles Speel, edited by Thomas J. Sienkewicz and James E. Bett, Monmouth, Illinois, 1997
↑en français, La Formation de la Bible chrétienne, Hans von Campenhausen, - Neuchâtel : Delachaux & Niestlé, 1971
↑Introduction au Nouveau Testament : Son histoire, son écriture, sa théologie, sous la direction de Daniel Marguerat, Labor & Fides, 2000 (ISBN978-2-8309-1149-7).
↑Martin Jugie, « Le canon de l'Ancien Testament dans l'Église byzantine », Revue des études byzantines, vol. 10, no 64, , p. 129–135 (DOI10.3406/rebyz.1907.3668, lire en ligne, consulté le )
Le canon du Nouveau Testament : Regards nouveaux sur l'histoire de sa formation, sous la direction de G. Aragione, É. Junod et E. Norelli, Labor & Fides, 2005.
Introduction à l'Ancien Testament sous la direction de Thomas Römer, Labor & Fides, 2004, édition revue et fortement augmentée en 2009.