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« Carlo Maria Cipolla est considéré par ses pairs comme le prince de l’histoire économique et son représentant le plus innovateur; grâce à sa curiosité intellectuelle, maîtrisée par une grande rigueur de pensée et de méthode, et en s’appuyant sur la recherche méticuleuse des sources, il a su combiner l’approche macro-historique avec des études microhistoriques, dans des œuvres d’une grande originalité et solidité, qui embrassent les domaines économiques et culturels les plus divers. »
Œuvre
Lorsque Cipolla s’attaque à l’histoire économique, celle-ci est en Italie essentiellement descriptive, loin de toute ambition analytique. Il comprend alors que derrière les fluctuations des monnaies et les mutations économiques se cachent des hommes, guidés par leurs mentalités toutes aussi fluctuantes, mais aussi que sans ces outils de théorie économique, les évènements du passé restent souvent muets et inexpressifs.
L’histoire économique le conduit à aborder l’histoire de la population : dans The Economic History of World Population (1962), il raconte l’édification de la civilisation moderne en partant du rapport entre le nombre d’hommes et la disponibilité de l’énergie, ce qui lui vaut une renommée internationale. Il est traduit en anglais, portugais, espagnol, français, polonais, danois et néerlandais avant d’être publié en italien.
Il s’intéresse ensuite à l’impact de la technique sur l’histoire économique, mais surtout sur l’histoire des mentalités avec Guns, Sails and Empires (1965) et Clocks and Culture (1967). Sa formule consiste en une thèse simple qu’il expose dans des termes clairs, loin des « explications totales » : elle servira de base à l’historiographie explorant la confrontation entre la culture occidentale et le monde colonial.
Cipolla est également parmi les premiers à chercher les liens entre alphabétisation et développement économique dans Instruction et développement (1969). Il souligne le rôle moteur du Protestantisme, mais aussi la nécessité d’une alphabétisation des artisans (moteurs du progrès scientifique) plutôt que des « col blancs » improductifs.
L’Italie entre 1200 et 1500, où l’excellence commerciale, financière et industrielle se traduisait en suprématie artistique, scientifique et technologique qui entraînait à son tour de nouveaux gains de productivité et de richesses, constitue le socle de son œuvre finalement synthétisée dans L’histoire économique de l’Europe pré-industrielle (1974). Il y replace l’ascension, l’apogée et le déclin de cette Italie renaissante dans un contexte méditerranéen et européen pour expliquer la domination européenne des XVIIIe et XIXe siècles.
Cipolla est l’un des premiers à étudier les épidémies et leurs conséquences socio-économiques (au-delà de la santé publique) à partir notamment des documents de la magistrature florentine pour la santé : I pidocchi e il granduca (1979), Contro un nemico invisibile (1986), Miasmi e umori (1989), Il burocrate e il marinaio (1992), La sanità toscana e le tribolazioni degli inglesi nel XVII secolo (1992). Il élargit ainsi l’histoire médicale à l’histoire sociale tout entière, ce qui lui vaudra plusieurs titres de docteur honoris causa en médecine.
Il expose sa méthodologie de l’histoire de l’économie dans L’introduction à l’étude de la science économique (1988), où il rappelle la variété des sources et la nécessité de faire « parler les chiffres » à travers son propre parcours universitaire.
C’est ce style narratif, presque sur le ton de la conversation qui lui permet de traduire des problèmes techniques et statistiques en discours argumenté persuasif. Celui-ci doit beaucoup à son humour, ce « devoir social » avec lequel il s’épanouit dans Allegro ma non troppo, cas exceptionnel de « best-seller » écrit par un historien.
Dans son œuvre, le regard de l’économiste rencontre celui de l’historien de l’école française, attentif aux détails quotidiens, le tout sur ton ironique et lucide. Joignant la « grande Histoire » (macrohistoire) et les destinées individuelles (microhistoires) pour expliquer les mutations technologiques, sociales et culturelles, il s’inscrit par là dans la lignée de son professeur de la Sorbonne, Fernand Braudel, qui le considérait comme un de ses meilleurs élèves.
Bibliographie
Guns and sails in the early phase of European expansion 1400-1700, Collins, London, 1965.
Clocks and culture, 1300-1700, Collins, London, 1967
Literacy and Development in the West, Harmonds worth, Penguin Books, 1969
Money, prices and civilization in the Mediterranean world, fifth to seventeenth century, Gordian Press, New York, 1967
The Fontana economic history of Europe, Havester Press, Hassocks, Sussex, England, 1976-1977
Mouvements monétaires dans l’État de Milan, 1580-1700, A. Colin, Paris, 1952
Contre un ennemi invisible : épidémies et structures sanitaires en Italie de la Renaissance au XVIIe siècle, Balland, Paris, 1992
Miasmas and disease: public health and the environment in the pre-industrial age, Yale University Press, New Haven, 1992
Before the industrial revolution: European society and economy, 1000-1700, Routledge, London, New York, 1993
Les lois fondamentales de la stupidité humaine, Presses universitaires de France, Paris, 2012 (titre original : The Basic Laws of Human Stupidity, Società editrice Il Mulino, Bologna, 1988)