Fils de Jean-Hippolyte Esquirou de Parieu, député de la droite dynastique, ancien élève du collège de Juilly, Félix Esquirou de Parieu suit ses études d'abord au collège d'Aurillac, puis au collège royal de Lyon, étudie la philosophie et les langues orientales au collège de Juilly et les prolonge à Paris par les sciences naturelles et le droit qui le mène à être d'abord avocat au barreau de Riom en 1841[2].
Il se montre adversaire de l'élection présidentielle au suffrage universel (masculin) en et préconise plutôt le système américain. Après la démission de Falloux et quelques mois d'intérim, il est appelé au ministère de l'Instruction publique, à une époque où la question de l'enseignement fait l'objet de discussions passionnées. Pour assurer une meilleure situation financière aux instituteurs, il fait adopter, le , la loi qui porte son nom, dite « petite loi sur l'éducation ». Mais sa tâche principale est de faire voter — le — puis exécuter la loi qu'avait préparée son prédécesseur et qui, en réorganisant complètement la hiérarchie universitaire, plaçait de fait les académies départementales sous l'égide du clergé. Il sert donc les intérêts des catholiques en prenant des mesures musclées à l'encontre des instituteurs en majorité républicains-socialistes, ce qui cause de vifs remous dans le milieu enseignant. Il se rallie plus tard au coup d'État du Prince-président.
Parieu et les projets d'Union monétaire : un visionnaire de l'Europe
Parieu devient l'un des plus éminents spécialistes français de la question monétaire et, à partir de 1858, il est l'un des avocats les plus déterminés de l'unification monétaire européenne. Luca Einaudi a dit de lui qu'il était en 1865 « l'homme idoine pour mener une diplomatie monétaire... un curieux mélange de réalisme politique et d'aspirations utopiques[7]. »
Parieu présida la conférence monétaire de 1865, qui donna naissance à l'Union monétaire latine et fut pour une grande part son œuvre, ainsi que la conférence monétaire de 1867, qui tenta d'élargir cette union en une union européenne, voire mondiale, fondée sur un monnayage universel.
Cette invitation à adopter un monnayage commun pour toutes les « nations civilisées » était le résultat de facteurs économiques liés au développement de libre-échange et à l'émergence des premières idées fédéralistes en Europe. Parieu en symbolisa le caractère libéral.
Dès 1865, il exprima l'intention du gouvernement français de transformer l'Union monétaire latine et de considérer « une perspective plus large, celle d'une circulation monétaire uniforme pour toute l'Europe. » Il proposa en 1867 d'introduire une monnaie commune basée sur la pièce de 10 francs, appelée « Europe », dans une « Union européenne occidentale », dont le nom pourrait être changé dans le cas où les États-Unis manifesteraient leur désir d'y participer.
Selon lui, une Union monétaire européenne basée sur l'étalon-or offrirait une « circulation métallique riche et confortable, la possibilité d'un accord avec la plus grande puissance commerciale d'Europe, l'Angleterre, ainsi qu'avec l'Allemagne... La destruction graduelle dans l'ordre économique d'une de ces fréquentes barrières qui divisent les nations, et dont la réduction faciliterait leur mutuelle conquête morale, servant ainsi de prélude aux fédérations pacifiques du futur. »
Cette référence aux fédérations pacifiques du futur est d'autant plus révélatrice que Parieu anticipa, dans son ouvrage Principes de Science Politique, publié en 1870, la structure institutionnelle de l'Union européenne après la Seconde Guerre mondiale. Ainsi, Parieu décrivait un cadre fédéral, une « Union européenne » dirigée par une « Commission européenne » dont les membres seraient nommés par les gouvernements nationaux, rejoints plus tard par un « Parlement européen. » Cette fédération devait prévenir d'autres guerres européennes et réaliser la mise en commun d'une monnaie, des transports, d'une poste et des représentations diplomatiques.
Parieu était conscient du caractère visionnaire de ses ambitions et déclara à un Sénat impérial sceptique en 1870 : « Dans l'histoire de l'humanité, l'utopie généreuse d'hier peut être transformée en une création pratique et faisable de demain, parce que le monde a progressé. »
Les positions fédéralistes de Parieu, bien en avance sur son temps, ont contribué à donner une crédibilité intellectuelle et une profondeur au projet français, au-delà de toute tentative d'interprétation hégémonique.
La conférence de 1867, visant à « favoriser l’établissement d’une circulation monétaire uniforme entre tous les états civilisés » réunit tous les États européens, la Russie, l'Empire ottoman et les États-Unis pour discuter des possibilités de créer une union monétaire. Parieu présida la plupart des huit séances de la conférence et conclut sur le fait que « le monde entier s'accorde sur les bénéfices que doit engendrer une unité monétaire. »
Mais cette conférence échoua, à la fois à cause du peu d'enthousiasme que montrèrent l'Angleterre et la Prusse et à cause de l'opposition résolue des Banques centrales. Cet échec laissa Parieu amer et politiquement marginalisé.
Les mêmes considérations présidèrent à l'élaboration au XXe siècle du projet d'Union économique et monétaire (UEM) et ce projet rencontra les mêmes résistances qu'au XIXe siècle. Elles ne furent levées que par le changement de politique de l'Allemagne (mais pas du Royaume-Uni) et par le fait que les banques centrales, étant nationalisées, ne furent pas en position de maintenir une opposition aussi systématique qu'au XIXe siècle.