Jean-Baptiste Carpeaux grandit dans une famille modeste d'ouvriers à Valenciennes. Il est né au no 53 rue Delsaux. Sa maison natale est remarquable pour sa façade[2]. Il aime dessiner et souhaite faire des études de sculpture contre la volonté de son père. À l'Académie de la ville, il suit les cours de sculpture de René Fache (1816-1891) et les cours d'architecture de Jean-Baptiste Bernard[3],[4] (1801-1856). Arrivé à Paris en 1838 avec sa famille[5], Carpeaux reçoit une première formation de dessin et de modelage à la Petite École.
En 1844, il entre à l'École des beaux-arts de Paris dans l'atelier de François Rude, figure du romantisme mais persona non grata aux Beaux-Arts. Il travaille depuis huit mois auprès de Rude lorsque celui-ci lui dit : « Mon petit, je t'aime bien, mais si tu veux le prix de Rome[6], il faut me quitter[7]. » Les sujets tirés de la mythologie et de l'histoire antiques ou des Saintes Écritures ne l'inspirent guère : après plusieurs tentatives infructueuses, il choisit de quitter l'enseignement de Rude pour celui du sculpteur Francisque Duret, professeur à l'École des beaux-arts, qui lui promet le succès en deux ans.
En , il remporte le prix de Rome avec son Hector implorant les dieux en faveur de son fils Astyanax. Son arrivée dans la capitale italienne est différée d'un an, l'artiste devant achever plusieurs commandes.
Il s'installe à la villa Médicis en et étudie les grands maîtres : Raphaël, Michel-Ange. Il voyage en Italie où il puise son goût pour le mouvement et la spontanéité. De son séjour italien, il sculpte trois envois, le Petit boudeur, le Pêcheur à la coquille et son Ugolin entouré de ses quatre enfants. Malgré cela il s’acquitte avec difficultés de ses obligatoires envois de Rome : il ne fait pas d’envoi de première année — une copie d’antique habituellement —, fait passer son Pêcheur à la coquille pour la figure de deuxième année, et prend des libertés avec le règlement en exposant comme dernier envoi Ugolin entouré de ses quatre enfants, groupe de cinq personnages tiré de Dante au lieu de l’histoire ancienne ou de la Bible[8].
En 1862, rentré à Paris, il est introduit à la cour impériale par son ami et mécène, Eugène d'Halwin de Piennes, bientôt chambellan de l'impératrice. Il est alors à la fois le portraitiste recherché mais jamais officiel de la cour et le sculpteur présent sur les grands chantiers du Second Empire. Il sculpte la même année le Buste de la princesse Mathilde qui lui permet d'obtenir plusieurs commandes de la part de Napoléon III. Il participe à la décoration extérieure du pavillon de Flore (Le Triomphe de Flore) et de l'opéra Garnier (La Danse).
En 1864, l'artiste donne des leçons de dessin et de modelage au prince Louis-Napoléon Bonaparte (1856-1879), fils unique de Napoléon III et de Eugénie de Montijo. Par la suite il obtient de réaliser le portrait de l'héritier de la dynastie et réalise deux œuvres, un groupe figurant le prince et son chien et un buste selon la commande de l'impératrice. Le groupe rompt avec les représentations des enfants princiers, en mettant l'accent sur l'accessibilité du jeune prince : « ma statue du prince impérial sera une belle empreinte des temps modernes pour l'avenir, j'y mets tout mon savoir, toute ma vie ; ce sera un échelon de ma gloire » déclare le sculpteur[10]. Le sculpteur en réalise très vite des réductions, dont les droits sont rachetés par la maison impériale en 1869. Objet de propagande, l'effigie connaît un succès considérable si bien que Jean-Baptiste Carpeaux réalise en 1868 une variante en bronze argenté, sans le chien, destinée à l'hôtel de ville de Paris, détruite dans l'incendie de 1871.
L'artiste se montre très tôt novateur en développant lui-même l'édition de ses œuvres pour le commerce. S'il a recours à des fondeurs indépendants pour les bronzes, à partir de 1868 il s'installe à Auteuil où il peut créer un atelier. Véritable entreprise familiale, l'atelier édite en plâtre, terre cuite estampée ou marbre des répliques qui sont pour beaucoup des variations ou des extractions à partir de sculptures ayant rendu l'artiste célèbre, telle La Danse. Par ailleurs, Jean-Baptiste Carpeaux crée des modèles nouveaux, plus onéreux, sur lesquels il exerce un contrôle artistique rigoureux. Après sa mort, l'exploitation de l'œuvre sculpté est poursuivie par ses héritiers[10].
Il collabore avec l'architecte Gabriel Davioud pour sa dernière œuvre, la Fontaine des Quatre-Parties-du-Monde de la place Camille-Jullian à Paris. Il réalise le groupe des quatre figures de L'Asie, L'Europe, L'Amérique et L'Afrique soutenant le globe terrestre. « Galilée m'a mis sur la voie en disant "La Terre tourne !" c'est ainsi que j'ai représenté les quatre points cardinaux tournant, suivant la rotation du globe » écrit Carpeaux peu avant de soumettre sa maquette définitive. La guerre franco-allemande de 1870 et la Commune interrompent le travail de l'artiste, qui ne livre le modèle qu'en 1872. La critique du Salon se déchaîne contre le groupe : « quatre femmes déshabillées, dégingandées, se démènent d'un air ahuri et furieux sous un grand globe qu'elles ne soutiennent pas. Ce débraillé de style est décidément intolérable dans les œuvres destinées au plein air. »[réf. nécessaire] Le bronze est fondu en 1874, sans tenir compte du souhait de Carpeaux de patiner les figures de manière à évoquer la couleur de peau des allégories[10]. Après sa mort, Emmanuel Frémiet achève la fontaine en ajoutant les huit chevaux bondissants, les tortues et les dauphins du bassin.
Les dernières années de sa vie sont sombres. La guerre et la défaite de 1870 tarissent les commandes. À la même époque, Carpeaux développe, à l'égard de sa femme, une jalousie maladive qui conduit à la séparation du couple en 1874. Sous l'influence de ses parents, et à court d'argent, il abandonne la direction de son atelier du 25, boulevard Exelmans à son frère, qu'il occupait depuis 1869[12]. Le , il meurt (des suites d'un cancer de la vessie), à Courbevoie, dans une propriété où l'avait accueilli le prince Georges Stirbey.
Ses obsèques ont lieu à l'église de Courbevoie le surlendemain () en présence de plus de 2 000 personnes et son corps est déposé dans un caveau provisoire au cimetière ancien de Courbevoie[13].
Outre plusieurs autoportraits, ses traits ont été fixés par le portrait qu'en fit son ami peintre Joseph Soumy, conservé au musée Bonnat-Helleu à Bayonne.
Dans le contexte de la sculpture française du XIXe siècle, les multiples commandes publiques, auxquelles s'ajoutent le poids de l'Académie et de l'École des beaux-arts, renforcent plus l'académisme dominant que l'expression personnelle des artistes. Or Jean-Baptiste Carpeaux, par son esthétique néo-baroque, est un des sculpteurs les plus marquants de cette époque.
Carpeaux sculpteur
Eugène Fromentin cite Alexandre Falguière qui lui rapporte les propos que lui tint son ami alors qu’ils déambulaient dans Rome en 1859 : « […] Ce n’est pas en considérant l’Apollon du Belvédère que tu deviendras un grand sculpteur. La sculpture, c’est la vie ; la vie, c’est le mouvement, et c’est ici que tu apprendras à la rendre… C’est dans la rue que nous devons étudier notre art, non pas au Vatican [16]. » Lors de son séjour à Rome, il réalise le Pêcheur à la coquille (1857-1858) : ce garçon qui écoute, ravi, le murmure de la mer au fond d'un coquillage, est son premier grand succès. En 1861, il réalise son chef-d'œuvre, Ugolin entouré de ses quatre enfants, un père torturé par l'alternative de mourir ou de manger ses enfants. Il puise son sujet chez Dante, grand poète italien, où s'affirment son romantisme et son goût de l'expression.
À Paris, il s'assure la protection de Napoléon III, sculpte le portrait de la princesse impériale, et reçoit des commandes officielles. Chacune de ses œuvres, où éclatent ses conceptions naturalistes et son désir de restituer un mouvement inspiré du style baroque, fait l'objet de polémiques : le Nu du fronton du pavillon de Flore, au palais du Louvre à Paris, est jugé trop sensuel, son groupe de La Danse (1869), sur la façade sud de l'Opéra Garnier à Paris, provoque l'indignation par sa liberté et son réalisme. Atteint du cancer, il réussit à terminer le groupe des Quatre Parties du monde pour la fontaine de l'Observatoire à Paris en 1874.
Carpeaux est avant tout un modeleur, travaillant l'argile d'où il tire plusieurs esquisses de ses grandes œuvres. Certains modelages ont servi pour constituer des moules en plâtre. La traduction en pierre est réalisée essentiellement par des praticiens[17]. L'artiste va éditer également plusieurs versions de ses œuvres dans un but commercial, isolant ainsi certaines figures de plus vastes compositions[17].
Jean-Baptiste Carpeaux est aussi un peintre renommé. En 1859, dès son premier jour à Rome, il déclare : « J’aime cet art avec passion, il me révèle plus que ma chère sculpture […] »[18]. Il confia aussi : « J’ai barbouillé bien des toiles […] j’aime cet art avec passion[19]. » Jean-Baptiste Carpeaux poursuit le modèle de l'artiste universel : être peintre, décorateur et sculpteur.
Les peintures de Carpeaux révèlent une grande diversité de styles et de sujets, elles s’affirment comme des œuvres à part entière, empreintes de spontanéité et d'une exécution rapide. La liberté extrême de sa touche donne à ses œuvres un aspect d’esquisse. Que ce soit avec la terre, l’huile, le crayon ou la plume, l’acte créatif anime Carpeaux et le laisse épuisé[8]. À la différence de ses sculptures, très peu de ses toiles sont sorties de son atelier.
Carpeaux a peint des paysages, des scènes de la vie quotidienne, des portraits et autoportraits, des scènes religieuses et des peintures d'histoire. À tout instant, il prenait des notes, aussi bien dans la rue qu'aux réunions de la Cour impériale. Ses peintures sont nées de ces croquis, avec une apparence voulue d'ébauche et de premier jet. Dans un esprit « moderne », ces derniers sont l'expression même de la vie et du mouvement[20].
Cet aspect de la carrière de l’artiste permet de confronter ses sculptures et ses peintures, puisque l’artiste tisse volontairement des rapports entre ces deux arts. Durant son séjour romain à la villa Médicis, il exécute ses premières copies, qu’il poursuivra toute sa vie.
Le corps humain est très présent dans sa sculpture et dans sa peinture, où il reprend ses sculptures les plus célèbres, comme Ugolin entouré de ses quatre enfants, Pêcheur à la coquille (1857-1858), Flore accroupie ou La Danse (1869). Carpeaux utilise la grisaille dans Ugolin et La Danse, cette technique lui permet d’obtenir des reliefs et des contrastes d’ombres et de lumières. Il s’agit d’œuvres qui semblent bien réelles tant leur matérialité (base, socle, contours, ombre) est marquée[21]. Dès lors, on ne parle plus d’un « Carpeaux d’après les maîtres » mais d’un « Carpeaux d’après Carpeaux ».
En 1869, Carpeaux sculpte La Fiancée. Le modèle est Amélie Clotilde de Montfort (1847-1908), fille du vicomte Philogène de Montfort, conseiller général de la Marne et général gouverneur du palais du Luxembourg. Il tombe amoureux de son modèle et l'épouse la même année. Ils auront trois enfants, dont Charles Carpeaux (1870-1904) qui sera photographe, explorateur et qui accompagnera les archéologues en Indochine avec l'École française d'Extrême-Orient, et Louise Clément-Carpeaux (1872-1961), qui deviendra sculptrice et écrira plusieurs ouvrages sur l'œuvre et la vie de son père[23].
École nationale supérieure des beaux-arts : Étude de visage d’après la figure de Minos, plume et encre brune sur papier vert, 17,1 × 11,6 cm[61]. Carpeaux reproduit une figure emblématique du Jugement dernier de Michel-Ange, qui lui avait sans doute fait une forte impression lors de son séjour en Italie entre 1856 et 1860. Dans l’inscription qu’il appose sur la feuille, il implore le peintre de la Renaissance, tout en le vénérant et le tutoyant, comme on le fait pour un dieu ou un père. Désemparé devant son génie, il lui fait part de ses inquiétudes et de ses doutes sur un mode poignant proche du cri[62].
Cécile Demarçay, 1872, buste en plâtre sur piédouche, 80,2 × 60,7 × 32,6 cm[67] ;
La Marquise de la Valette, 1861, buste en plâtre, 65 × 64 × 29 cm[68] ;
La Princesse Mathilde, 1862, buste sur piédouche en marbre, 95,3 × 70,4 × 43,7 cm[69] ;
Le Prince impérial et son chien Néro, 1865, groupe en marbre, 140,2 × 65,4 × 61,5[70] ;
Les Quatre Parties du monde soutenant la sphère céleste1868-1872, groupe en plâtre, commande de la Ville de Paris pour le jardin de l'Observatoire[71] ;
↑Catherine Dollé, « L'enseignement du dessin sous la Troisième République : introduction du dessin industriel à Valenciennes », Livraisions d'histoire de l'architecture, no 2, , p. 117-130 (lire en ligne).
↑Marine Kisiel, « L'homme et l'artiste, entre triomphes et tourments », Dossier de l'Art, no 220, juillet-, pp. 18-26.
↑Le concours annuel pour le prix de Rome, enjeu majeur dans la perspective d'une carrière, est dès le départ l'un des objectifs du jeune artiste. Les vainqueurs partent à Rome, pour un séjour de quatre ans à l'Académie de France, afin de parfaire leur formation au contact des chefs-d'œuvre de l'Antiquité et de l'art italien et doivent envoyer régulièrement des travaux à Paris.
↑Collectif, Catalogue des Ouvrages de Peinture, Sculpture, Dessin, Gravure, Architecture et Art décoratif exposés au Grand-Palais des Champs-Élysées, du 1er au , Paris, Compagnie françaises des papiers-monnaie, , 286 p. (lire en ligne), p. 238.
↑Le Monde illustré des 16 et et . Jean-Baptiste Carpeaux — contrairement à ce que l'on peut lire assez souvent — n'a donc pas jamais été inhumé au cimetière parisien d'Auteuil.
↑Louise Clément-Carpeaux, La Vérité sur l'œuvre et la vie de J.-B. Carpeaux (1827-1875), avant-propos de Georges Lecomte, préface de Camille Mauclair, 2 vol., Paris, Imp. Dousset et Bigerelle, 1934-1935, 348 p. (en ligne sur Gallica).
↑(en) Allison Unruh, « Lists of plates », dans Allison Unruh, Aspiring to la Vie Galante : Reincarnations of Rococo in Second Empire France., ProQuest, , 461 p. (lire en ligne), page 12.
Victor Beyer, Annie Braunwald et Lise Duclaux, Sur les traces de Jean-Baptiste Carpeaux, Paris, Éditions des Musées nationaux, 1975. — Catalogue de l'exposition du Grand Palais à Paris, -.
Michel Poletti, Jean-Baptiste Carpeaux, l'homme qui faisait danser les pierres, Éditions Gourcuff Gradenigo, 2012, 206 p. (ISBN978-2353401420).
Michel Poletti et Alain Richarme, Jean-Baptiste Carpeaux, sculpteur (1827-1875). Catalogue raisonné de l'œuvre édité de Carpeaux, Paris, Univers du Bronze, Les Éditions de l'Amateur, 2003, 208 p. (ISBN978-2859173760).
Collectif, Jean-Baptiste Carpeaux, 1827-1875, Gallimard, 2014, 360 p. (ISBN9782070145935) — Catalogue de l'exposition « Carpeaux (1827-1875), un sculpteur pour l'Empire », à Paris au musée d'Orsay du au .
Bruno Montamat, « La vérité sur l'atelier Carpeaux à Auteuil, demeure de Jean-Baptiste Carpeaux et de sa famille », Cahiers d'Histoire de l'Art, 2017 (en ligne sur academia.edu).