Drame lyrique dont on a célébré le 400e anniversaire de la création en , L’Orfeo est l'un des premiers opéras de l’histoire de la musique, à la frontière du madrigal, dont il est en quelque sorte un développement, mis en scène[6].
Argument
Basé sur le mythe d'Orphée et Eurydice où le héros grec essaye de sauver sa femme des Enfers, l'opéra est composé d'un prologue et de cinq actes.
Une toccata en ré majeur (« jouée trois fois par tout l'orchestre avant le lever du rideau » écrit Monteverdi sur la partition) ouvre l'opéra : c'est plus une fanfare d'ouverture qu'un prélude à l'œuvre.
Prologue
La Musica (« l'esprit de la musique ») explique le pouvoir de la musique et particulièrement le pouvoir d'Orphée dont la musique était si belle qu'elle réussissait à émouvoir les dieux, charmer les hommes et les animaux, et à faire se mouvoir les arbres et les rochers…
Acte I
Mariage d'Orphée et Eurydice, avec réjouissances
Acte II
Tout à coup, par une messagère, Orphée apprend brutalement qu'Eurydice vient de mourir, mordue par un serpent ; il décide de tenter d'aller dans le monde souterrain, les Enfers, pour la sauver. Il chante la fragilité du bonheur (sous la forme d'un récitatif introductif suivi d'un aria) : Tu se’ morta, mia vita, ed io respiro ? (Tu es morte, ma vie, et je respire encore ?).
Acte III
L'espoir accompagne Orphée aux portes des Enfers. Rencontrant Charon (à prononcer : Caron), le passeur des Enfers, il essaye de le subjuguer par son chant. Sans succès, il essaye à nouveau mais avec sa lyre : Rendetem'il mio ben, TartareiNumi ! (« Rendez-moi mon bien, dieux du Tartare ! »). Charon s'endort et Orphée en profite pour entrer aux Enfers.
Acte IV
Touchée par la musique d'Orphée, Proserpine, la reine des Enfers, épouse de Pluton, le convainc de laisser partir Eurydice. Pluton acquiesce sous une condition : Orphée ne doit pas se retourner pendant qu'Eurydice le suit sur le chemin du retour à la lumière et à la vie. Il part, Eurydice le suit, mais doutant, il se retourne et voit sa femme disparaître. Découragé, il retourne sur Terre.
Acte V
Accablé de chagrin, Orphée est emmené au ciel par son père Apollon et devient immortel, à l'égal des dieux. Il pourra voir Eurydice dans les étoiles. Le chœur chante la gloire d'Orphée.
Distribution
Le créateur du rôle de la Musica est le célèbre castrat florentin Giovan Gualberto Magli, élève de Caccini. Il chanta aussi les rôles de Proserpina et peut-être de Speranza. Il était, aux yeux du prince Francesco Gonzaga (François de Gonzague), la vedette du spectacle, ce qui ne manque pas d'étonner quand on sait l'importance du rôle d'Orphée en comparaison de ces trois personnages. Le ténor virtuose Francesco Rasi interpréta le rôle-titre. Au castrat soprano Girolamo Bacchini revenait l'interprétation du bref rôle d'Eurydice. Le reste de la distribution d'origine nous est inconnu[7].
La Musica (La Musique), castrat, aujourd'hui chanté par un soprano.
Choro de Pastori, che fecero la moresca nel fine (Chœur de bergers, pour la moresque à la fin)
L'orchestre de Monteverdi
Ce qui suit est une liste des instruments utilisés lors de la première représentation de L'Orfeo à Mantoue en 1607 ; elle se trouve sur la seconde page du livret original (Venise, 1609, seconde édition 1615). Monteverdi requiert parfois une orchestration légèrement différente de celle présente sur la liste.
Duoi Gravicembani - « deux clavecins ». Gravicembani (ou gravicembali) est une corruption de clavicembali, le terme italien pour les instruments tels que les clavecins, les épinettes, etc ;
Duoi contrabassi de Viola - « deux violes de gambe contrebasses » ;
Dieci Viole da brazzo - « dix violes da braccio » (littéralement : violes de bras) ;
Un Arpa doppia - « une harpe double », c'est-à-dire une harpe à double rang de cordes ;
Duoi Violini piccoli alla Francese - « deux petits violons à la française ». Selon le Grove Dictionnary, deux pochettes[8] ;
Duoi Chitaroni - « deux chitarrones ». Le chitarrone est un grand luth grave utilisé pour le continuo ;
Duoi Organi di legno - « deux orgues [à tuyauterie] de bois » ;
Tre bassi da gamba - « trois basses da gamba ». Trois basses de viole ;
Quattro Tromboni - « quatre trombones ». L'orchestration précise cinq trombones ;
Un Regale - « un régale » (un orgue régale, au son bien particulier), ici utilisé pour décrire les Enfers ;
Duoi Cornetti - « deux cornets à bouquin ». Le cornet est un instrument intermédiaire entre les bois et les cuivres, au son mi-hautbois, mi-trompette. Dans l'école vénitienne on aimait l'allier aux trombones, pour jouer la partie aiguë. Il est chromatique ;
Un Flautino alla Vigesima seconda - « une petite flûte à bec à la vingt-deuxième » (donc sonnant trois octaves au-dessus de la note écrite) ;
Un Clarino con tre trombe sordine - « un « clarino » [trompette naturelle très aiguë] avec trois trompettes munies de sourdine ».
C'est l'un des premiers exemples d'un compositeur qui assigne des rôles spécifiques aux instruments. Certes, l'école vénitienne le faisait déjà depuis environ deux décennies, mais l'orchestration de L'Orfeo est particulièrement explicite.
Analyse
Il y a une incertitude sur une possible altération, de la part de Monteverdi, de la fin écrite par Striggio, selon laquelle Apollon accompagnait son fils au ciel. En effet, dans le livret de Striggio, Orphée meurt, atrocement lacéré par des Ménades qui, voyant qu'il s'est détourné des femmes, décident de le tuer. Ce dénouement tragique n'était pas du goût de l'époque : Monteverdi et Striggio durent modifier la fin. Certes, Orphée ne retrouve pas Eurydice mais il est emmené par Apollon. D'ailleurs, la moresca (la moresque) finale, une danse du ballet céleste, contient des réminiscences de la première fin (analyse du chef d'orchestre Nikolaus Harnoncourt, d'après le livret de l’Orfeo dans l'enregistrement de 1968 avec Harnoncourt et le Concentus Musicus Wien, chez Teldec).
Langage musical
L'Orfeo de Monteverdi marque un tournant dans l'histoire de la musique et symbolisera la frontière entre la Renaissance et l'époque baroque.
Il est représentatif d'un nouveau style, la monodie accompagnée, où le chant des différents personnages est soutenu par une basse développant des accords. Celle-ci est appelée le continuo (ou basso continuo), en français la « basse continue », en allemand le Generalbass.
Avec les premiers opéras, genre promis à un grand développement, la lecture d'ensemble devient donc franchement verticale et n'est plus pensée de manière horizontale, comme c'était le cas depuis des siècles dans la polyphonie et le contrepoint (chez Monteverdi et chez d'autres, le verticalisme s'était d'abord développé dans les madrigaux, qui passèrent progressivement d'un style à l'autre, sans exclusive pour le premier ou le second).
Il n'y a aucun lien à établir avec l'harmonisation à plusieurs voix de la mélodie d'un choralluthérien. Cette forme musicale (le choral) existait depuis le XVIe siècle et constituait la base de la musique liturgique voulue et même composée par Martin Luther, réformateur religieux allemand. Les harmonisations de ces mélodies prennent l'aspect d'une polyphonie chorale pouvant être chantée par l'assemblée. Elles sont donc souvent simples et homophoniques, mais elles sont encore pensées horizontalement.
Style et forme
L'Orfeo est connu pour son pouvoir dramatique et son instrumentation animée. L'œuvre est basée sur la monodie accompagnée, mode d'écriture amenant un style nouveau, appelé à un grand avenir : les lignes mélodiques principales, clairement caractérisées en fonction des personnages ou des situations, sont situées, non plus à la teneur (la partie que nous appelons ténor) comme c'était souvent le cas dans la musique polyphonique, mais elles apparaissent maintenant (c'était le cas de plus en plus souvent à l'époque) à la partie supérieure de l'ensemble (que ce dernier soit à dominante vocale ou bien uniquement instrumental lors des interventions de l'orchestre). De la sorte, les personnages apparaissent clairement, ce qui n'aurait pas pu se produire à l'intérieur d'un tissu polyphonique dense. Avec cet opéra, Monteverdi devint, sinon le premier, du moins un des principaux créateurs d'une nouvelle forme musicale : le « dramma per musica » ou action théâtrale en musique. C'est aussi un élément d'individualisme moderne qui s'affirme.
Cette idée d'œuvres dramatiques entièrement chantées vient d'une volonté (en fait, à nos yeux, d'une tentative) de faire renaître le théâtre grec antique, dont on sait qu'il était chanté, mais dont on n'a guère conservé la musique.
Les opéras de Monteverdi sont souvent classées dans le « pré-baroque ». La musique d'Italie du Nord à l'époque était en transition entre le style de la fin de la Renaissance et le début du baroque. Les compositeurs modernistes, dont Monteverdi, mélangeaient les styles des importants centres de créativité musicale, comme Florence, Venise et Ferrare.
(en) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en anglais intitulé « L'Orfeo » (voir la liste des auteurs).
Notes
↑La date de la première représentation de L'Orfeo, le 24 février 1607, est attestée par deux lettres, toutes deux datées du 23 février. Dans le premier courrier, Francesco Gonzaga informe son frère que la « pièce musicale » sera jouée le lendemain ; il ressort clairement d'une correspondance antérieure qu'il s'agit de L'Orfeo. La deuxième lettre est celle d'un fonctionnaire de la cour de Gonzague, Carlo Magno, qui donne quelques précisions sur les modalités de la représentation[3].
↑(en) Ian Fenlon, « Correspondence relating to the early Mantuan performances », dans Whenham, John, Claudio Monteverdi : Orfeo, England, Cambridge University Press, , 230 p. (ISBN0-521-24148-0), p. 167-172.
↑Par l'éditeur Riccardo Amadino (Alessandrini, p. 61). L'année de la création fut publié seulement le livret, pour que chacun des spectateurs puisse lire et écouter en même temps le texte (Schrade 1981, p. 211), avec une fin différente de la partition. (Silke Leopold, texte de présentation de l'enregistrement de G. Garrido, K617 p. 11)
Philippe Beaussant, Le chant d'Orphée selon Monteverdi, Fayard, 2002, 210 p. (ISBN2-213-61173-4) Livre essentiel pour découvrir l'œuvre en profondeur. Beaussant suit pas à pas chaque déroulement de la musique et du texte (en suivant le disque de G. Garrido).
Franck Ferraty, « L’Orfeo de Monteverdi : une fable d’une obscure clarté » in revue Inter-Lignes numéro spécial (actes du colloque « Orphée entre soleil et ombre »), Faculté libre des Lettres et des Sciences Humaines de Toulouse (ICT), , p. 37-50.