Le massacre de Grenade a lieu en 1066, à Grenade, lorsqu'une foule musulmane a pris d'assaut le palais royal de Grenade, dans la Taïfa de Grenade[1], et a crucifié le vizir juif Joseph ibn Nagrela, et massacré la population juive de la ville[2],[3].
Faits historiques
Le , une foule musulmane prend d'assaut le palais royal de Grenade, crucifie le vizirjuif, Joseph ibn Nagrela, et massacre la plus grande partie de la population juive de la ville. « 1500 familles juives, représentant environ 4 000 personnes disparaissent en un jour »[4].
Une rumeur s'est répandue à l'effet que Joseph avait l'intention de tuer le roi Badis al-Muzaffar, et de livrer le royaume aux Al-Mutasim (tribu arabe) d'Almeira, avec qui le roi était en guerre, puis de tuer le pré-tendant Al-Mutasim, et saisir le trône lui-même.
Analyses du XIe siècle
Le rabbinAbraham ibn Dawd Halevi, plus connu sous l'acronyme Rabad I, décrit Joseph ibn Nagrela dans son ouvrage historique Sefer ha-Kabbalah (Livre de la Tradition)[5] : « ...il devint altier jusqu'au point de destruction ; les nobles philistins (berbères) devinrent jaloux de lui, jusqu'à ce qu'il soit assassiné... ». En effet, il a été accusé de plusieurs actes de violence, qui lui ont attiré la haine des berbères, alors formant le gros de la population de Grenade.
Ibn Dawd Halevi relate que la date du massacre était annoncée dans le Meguilat Ta'anit, un ouvrage ancien, qui cite le 9 Tevet comme un jour de jeûne sans donner de raison. (D'autres autorités juives, cependant, donnent d'autres raisons pour la commémoration[6]).
Analyses modernes
Selon l'historien Bernard Lewis, le massacre est « généralement imputé à une réaction de la population musulmane contre un vizir juif puissant et ostentatoire »[7].
Lewis affirme :
« Un ancien poème antisémite d'Abu Ishaq, écrit à Grenade en 1066 est particulièrement instructif à cet égard. Ce poème, qui se dit instrumental dans le déclenchement des émeutes anti-juives de cette année, contient ces lignes spécifiques :
– Ne considérez pas le fait de les tuer comme une violation de la foi. Le fait de les laisser en vie serait une violation de la foi.
– Ils ont violé le pacte que nous avions avec eux, aussi comment pouvez vous être tenus coupables contre les violateurs ?
– Comment peuvent-ils avoir un pacte, quand nous sommes insignifiants et eux prétentieux ?
– Maintenant nous sommes humbles, à côté d'eux, comme si nous avions tort et eux avaient raison[8] ! »
Lewis continue : « Des diatribes comme celles d'Abu Ishaq et les massacres tels que ceux de Grenade en 1066 sont des évènements relativement rares dans l'histoire islamique »[8]. De même, Mark R. Cohen souligne la rareté des persécutions des juifs et des chrétiens par les musulmans depuis les premiers siècles de l'islam jusqu'au XIIe siècle[9].
Selon David Abulafia, ce massacre s'explique par « une rivalité interethnique », et ne ressemble pas aux pogroms[10] qui ont eu lieu en Allemagne au XIe siècle[11]. Dans la mesure où il a suivi immédiatement le meurtre du vizirJoseph ibn Nagrela, ce massacre a pu avoir des motivations politiques.
Pour Christine Mazzoli-Guintard, ces tensions font suite à un raidissement de l'orthodoxie religieuse, où les courants de pensées contestent de façon générale le rôle politique des autres religions dans l'organisation d'Al Andalus et qui correspond à l'avancée des armées chrétiennes vers le sud. Cette contestation commence alors qu'« Al Andalus, à la dérive politiquement, se met à rejeter ce qui est différent » à partir de 1064, lorsque tombe la première ville importante : Barbastro[12].
Conséquences
La communauté juive de Grenade réussit à se reconstituer avec le temps. En 1085, Tolède tombe aux mains du roi de Castille, l'année suivante les Almoravides viennent en renfort des Taïfas pour contrer les armées chrétiennes, puis prennent le pouvoir en Al Andalus. En 1090 la communauté juive est de nouveau attaquée par les Almoravides qui, venus de l’Adrar mauritanien, conduits par Youssef ben Tachfine, envahissent le sud de la péninsule ibérique. « Ils vont brutalement changer les conditions de vie des dhimmis juifs et chrétiens[13] », les forçant à se convertir, en infraction, selon Michel Abitbol, avec la tradition musulmane, qui avait jusque-là réservé aux « gens du Livre » un statut particulier[9]. Le XIIe siècle est d'ailleurs considéré par certains[Qui ?] comme la fin de l'âge d'or de la culture juive en Espagne.
Notes
↑(en) Viguera-Molins (2010), Al-Andalus and the Maghrib (from the fifth/eleventh century to the fall of the Almoravids)". In Fierro, Maribel. The Western Islamic World, Eleventh to Eighteenth Centuries The New Cambridge History of Islam. 2, Cambridge University Press, , 1120 p. (ISBN978-0-521-20094-3, lire en ligne), p. 34
↑(en) Lucien Gubbay, Sunlight and Shadow : The Jewish Experience of Islam, New York, Other Press, , 80 p. (ISBN1-892746-69-7)
↑(en) Norman Roth, Jews, Visigoths, and Muslims in Medieval Spain : Cooperation and Conflict, Pays-Bas, E. J. Brill, , 110 p. (ISBN90-04-09971-9, lire en ligne)
↑ (en): Bernard Lewis (1984): The Jews of Islam. Princeton University Press. p.54.
↑ a et b (en): Bernard Lewis (1984): The Jews of Islam. Princeton University Press. pp.44-45
↑ a et bJuifs et musulmans (DVD), K. Miské, E. Blanchard, édition Collector, 2013, 2e épisode (dans le DVD1).</
↑Juifs et musulmans (DVD), K. Miské, E. Blanchard, édition Collector, 2013, 2e épisode (dans le DVD1).Walter Laqueur utilise ce mot de pogrom : « Les Juifs ne pouvaient selon la loi, accéder à la fonction publique (comme toujours, il y avait des exceptions), et il y a eu des pogroms occasionnels comme à Grenade en 1066 » ((en) Walter Laqueur : The Changing Face of Antisemitism: From Ancient Times to the Present Day. Oxford University Press, 2006. (ISBN0-19-530429-2) p.68).
↑Des pogroms s'étaient produits au moment du départ des Croisés vers Jérusalem, au motif qu'il fallait commencer en Europe le combat contre les infidèles, Juifs et musulmans (DVD), K. Miské, E. Blanchard, édition Collector, 2013, 2e épisode (dans le DVD1
↑Juifs et musulmans (DVD), K. Miské, E. Blanchard, édition Collector, 2013, 2e épisode (dans le DVD1).
références
Christine Mazzoli-Guintard, « Cordoue Séville, Grenade : Mythes et réalités de la coexistence des trois cultures », Horizons Maghrébins, (lire en ligne)