où n est un entier naturel et les coefficients ai sont des rationnels non tous nuls, ou encore (en multipliant ces n + 1 rationnels par un dénominateur commun) qui n'est racine d'aucun polynôme non nul à coefficients entiers. Un nombre réel ou complexe est donc transcendant si et seulement s’il n'est pas algébrique.
Comme tout nombre rationnel est algébrique, tout nombre transcendant est donc un nombre irrationnel. La réciproque est fausse : par exemple √2 est irrationnel mais n'est pas transcendant, puisqu'il est solution de l'équation polynomialex2 – 2 = 0.
Les exemples les plus connus de nombres transcendants sont π et e.
Histoire
Leibnizfut probablement la première personne à croire en l'existence[évasif] de nombres transcendants. Le nom « transcendant » vient de sa publication de 1682, où il démontra que sinus n'est pas une fonction algébrique. L'existence des nombres transcendants fut prouvée pour la première fois en 1844 par Joseph Liouville[N 1], qui exhiba des exemples, incluant la constante de Liouville :
dans laquelle le n-ième chiffre après la virgule est 1 si n est une factorielle (l'un des nombres 1, 2, 2×3 = 6, 2×3×4 = 24, etc.) et 0 sinon ; ce nombre est particulièrement bien approché par les nombres rationnels. Joseph Liouville montra que les nombres ayant cette propriété (que nous nommons maintenant nombres de Liouville) sont tous transcendants[N 2].
Jean-Henri Lambert, prouvant entre autres[N 3] l'irrationalité de π et redémontrant celle de e, conjectura qu'ils étaient même transcendants. Le premier nombre à avoir été démontré transcendant sans avoir été construit spécialement pour cela fut e, par Charles Hermite en 1873[N 4].
En 1874, Georg Cantor démontra que les nombres algébriques réels sont dénombrables et les nombres réels sont non dénombrables ; il fournit également une nouvelle méthode permettant de construire des nombres transcendants[1]. En 1878, Cantor publia une construction démontrant qu'il y a « autant » de nombres transcendants que de nombres réels[2]. Ces résultats établissant l'ubiquité des nombres transcendants.
La transcendance de π a permis la démonstration de l'impossibilité de résoudre plusieurs problèmes anciens de construction géométrique à la règle et au compas, incluant le plus célèbre d'entre eux, la quadrature du cercle.
En 1900, David Hilbert a posé une importante question à propos des nombres transcendants, connue sous le nom de septième problème de Hilbert : « Si a est un nombre algébrique non nul et différent de 1 et si b est un nombre algébrique irrationnel, alors le nombre ab est-il nécessairement transcendant ? »
La réponse, affirmative, fut donnée en 1934 par le théorème de Gelfond-Schneider. On peut obtenir facilement des nombres transcendants grâce à lui, par exemple 2√2.
Les nombres de Liouville, comme où est la partie entière du réel . Par exemple, si , ce nombre est 0,11010001000000010000000000000001000…
Les sommes de certaines séries à convergence rapide, mais moins que celle des nombres de Liouville, ont été montrées transcendantes par des généralisations de son résultat ; c'est par exemple le cas de la série des inverses des nombres de Fermat[3] ou des nombres de Fredholm de deuxième espèce[4].
les nombres dont le développement décimal (ou dans une autre base) est défini par une suite automatique[5] qui n'est pas périodique à partir d'un certain rang[N 5] ;
Toute fonction algébrique non constante à une variable donne une valeur transcendante lorsqu'on lui applique une valeur transcendante. Donc, par exemple, en sachant que π est transcendant, nous pouvons immédiatement déduire que 5π, (π – 3)/√2, (√π – √3)8 et (π5+7)1/7 sont aussi transcendants.
Néanmoins, une fonction algébrique à plusieurs variables peut donner un nombre algébrique lorsqu'elle est appliquée aux nombres transcendants si ces nombres ne sont pas algébriquement indépendants[N 7]. On ignore si π + e, par exemple est transcendant, mais au moins l'un des deux nombres π + e et πe est transcendant. Plus généralement, pour deux nombres transcendants a et b, au moins l'un des nombres a + b et ab est transcendant. Pour voir cela, considérons le polynôme (X – a)(X – b) = X2 – (a + b)X + ab ; si a + b et ab étaient tous deux algébriques, alors ce polynôme serait à coefficients algébriques. Comme les nombres algébriques forment un corps algébriquement clos, ceci impliquerait que les racines du polynôme, a et b soient algébriques. Mais ceci est une contradiction et ainsi, au moins un des deux coefficients est transcendant.
Classification des nombres transcendants
Kurt Mahler a introduit en 1932 une partition des nombres transcendants en trois ensembles, qu'il note S, T, et U[7]. La définition de ces classes repose sur une généralisation de la notion de mesure d'irrationalité.
Mesure de transcendance d'un nombre complexe
Soit un nombre complexe. On cherche à évaluer à quel point il est possible d'approcher par une racine d'un polynôme à coefficients entiers en fonction de son degré (inférieur ou égal à un entier ) et de ses coefficients (de module majoré par un entier ).
Soit la plus petite valeur non nulle prise par quand parcourt cet ensemble fini de polynômes. On note (avec désignant la limite supérieure) :
.
Dans le cas où on reconnaît le logarithme de la mesure d'irrationalité.
On définit trois classes[8]
U est l'ensemble des nombres complexes tels que au-delà d'un certain (qu’on appelle le degré de ) ;
T est l'ensemble des nombres complexes tels que la suite est à valeurs finies mais n'est pas bornée ;
S est l'ensemble des nombres complexes tels que la suite est bornée.
Exemples
Tout nombre transcendant est dans l'une des classes S, T ou U ; mais la classification précise est parfois difficile à établir. On ne sait par exemple pas si est dans S ou dans T[9]. En revanche dans certains cas particuliers il est possible de conclure plus finement.
Lorsque Mahler publia sa partition des nombres transcendants, il conjecturait que T est non vide. Cette conjecture ne fut démontrée que 35 ans plus tard, par Wolfgang M. Schmidt[13],[14],[8]. La classe T a même la puissance du continu[15].
Propriétés algébriques
La somme ou le produit de deux nombres transcendants peuvent ne pas être transcendants, ni même irrationnels[N 7]. La partition de Mahler offre cependant une condition suffisante d'indépendance algébrique :
Tous les nombres de Liouville sont transcendants mais les nombres transcendants ne sont pas tous des nombres de Liouville. Tout nombre de Liouville doit avoir des termes non bornés dans son développement en fraction continue, donc en utilisant un argument de dénombrement, on peut montrer qu'il existe des nombres transcendants qui ne sont pas des nombres de Liouville. En utilisant le développement explicite en fraction continue de e, on peut montrer que e n'est pas un nombre de Liouville. Kurt Mahler montra en 1953 que π n'est pas non plus un nombre de Liouville. On conjecture souvent[18] que toutes les fractions continues à quotients partiels bornés qui ne sont pas périodiques à partir d'un certain rang sont transcendantes.
La généralisation du septième problème de Hilbert qui serait de caractériser les transcendants parmi tous les nombres ab lorsque a ≠ 0 et a ≠ 1 est algébrique, reste non résolue[réf. souhaitée]. On sait que si b est rationnel alors ab est algébrique, et (d'après le théorème de Gelfond-Schneider mentionné plus haut) que si b est algébrique irrationnel alors ab est transcendant, mais qu'en est-il si b est transcendant ? (Il peut arriver que ab soit algébrique, comme dans l'exemple a = 2, b = log(3)/log(2).)
↑En 1878, Cantor ne construisit qu'une bijection entre l'ensemble des nombres irrationnels et l'ensemble des nombres réels (voir Une contribution à la théorie des ensembles, p. 323-324). Toutefois, l'année suivante, il indiqua que sa construction s'applique à tout ensemble formé en supprimant une quantité dénombrable de nombres d'un intervalle réel (voir Sur ensembles infinis et linéaires de points, p. 353).
↑(en) Wolfgang Schawrz, « Remarks on the Irrationality and Transcendence of certain series », Mathematica Scandinavica, vol. 20, no 2, , p. 269-274
↑(en) Attila Peth, « Simple Continued Fractions for the Fredholm Numbers », Journal of Number Theory, vol. 14, , p. 232-236 (lire en ligne)
↑(en) Boris Adamczewski et Yann Bugeaud, « On the complexity of algebraic numbers. I. Expansions in integer bases », Ann. of Math, vol. 165, no 2, , p. 547-565 (lire en ligne).
↑(en) Yann Bugeaud, « Automatic continued fractions are transcendental or quadratic », ASENS, 4e série, vol. 46, no 6, , p. 1005-1022 (DOI10.24033/asens.2208, arXiv1012.1709).
↑ ab et cPascal Boyer, Petit compagnon des nombres et de leurs applications, Paris, Calvage et Mounet, , 648 p. (ISBN978-2-916352-75-6), III - Corps et théorie de Galois, chap. 2.6 (« Classification de Mahler des nombres transcendants »), p. 284 - 286.
↑(en) Edward B. Burger et Robert Tubs, Making Transcendence Transparent : An Intuitive Approach to Classical Transcendental Number Theory, New York, Springer, , 263 p. (ISBN978-0-387-21444-3, lire en ligne), p. 182.
↑(en) Tanguy Rivoal, « On the arithmetic nature of the values of the gamma function, Euler's constant, and Gompertz's constant », Michigan Mathematical Journal, vol. 61, no 2, , p. 239-254 (ISSN0026-2285, DOI10.1307/mmj/1339011525, lire en ligne).
↑(en) Boris Adamczewski et Yann Bugeaud, « On the complexity of algebraic numbers, II. Continued fractions », Acta Math., vol. 95, no 1, , p. 1-20 (lire en ligne).