Soucieux de préserver l'économie de la pêche, il est un des premiers hommes de science, dès 1931, à alerter celle-ci sur les enjeux écologiques qui sont les siens, et sur les causes de la raréfaction de la ressource halieutique. Inventeur de la zone benthyale, il est en outre l'auteur de la théorie, aujourd'hui obsolète, des transgressions atlantiques, qui est à l'origine d'une évolution paradigmatique et qui a fait naître, par contre-coup, l'océanographie moderne, dite biologique.
Un savant entre paradigmes
Les transgressions atlantiques
Édouard Le Danois est l'inventeur en 1933 des transgressions atlantiques[2], échanges selon une périodicité complexe entre la masse des eaux continentales, abyssales et polaires avec celle des eaux atlantiques et équatoriales mus par les différences de température et de salinité entre les deux. Ce phénomène, décrit dès 1921 par Édouard Le Danois[° 1] et démontré pour la première fois par celui ci[° 2] pour expliquer le Gulf Stream et la dérive nord atlantique, comprendre les migrations des espèces marines[3] et prévoir les saisons de pêche, inaugure une vision écologique associant études biologiques, embryologiques et éthologiques, de la zoocénose marine et compréhension de la thermodynamique et de la chimie du biotope de celle-ci.
Le modèle, basé sur le concept ad hoc d'immixtibilité des masses d'eau, s'avérera réducteur et, la science progressant, la notion de transgression atlantique est désormais révoquée[4], mais elle est à l'origine d'une démarche qui associe hydrographie et biologie propre à l'océanographie moderne, l'océanographie biologique, et de l'étude ce qui demeure aujourd'hui un élément essentiel de la climatologie.
Aussi l'hypothèse de Wegener est elle au début des années trente accueillie en France avec réserve. Le consensus de l'époque est fait autour de la théorie d'Édouard Suess que le relief s'est formé par refroidissement et contraction de la planète au début de sa formation. Édouard Le Danois est de ceux qui, sans attendre des précisions futures et des découvertes complémentaires, soutient une théorie alternative qui explique les migrations d'espèces d'un continent à l'autre par des bandes de terres qui les auraient autrefois reliés. Les reliefs sous-marins, qui ne sont alors pas encore interprétés comme ce qui forme la dorsale médio-atlantique, en seraient les vestiges[5]. Les deux principales bandes de terre intercontinentales, appelées passerelles gondwaniennes, auraient relié la Guinée au Nordeste de l'actuel Brésil et le Deccan à Madagascar et de là à la côte africaine.
Face à la nouvelle théorie de Wegener, la théorie de la permanence des océans et des continents a l'avantage de ne faire appel qu'au volcanisme et aux forces sismiques, alors les seules connues, pour expliquer l'élévation des montagnes et la submersion de terres. C'est à cette logique de condition suffisante et de moindre postulat qu'Édouard Le Danois, comme de nombreux autres éminents spécialistes, se rallie en déclarant le devant la Société de biogéographie que « du point de vue océanographique, la théorie de Wegener est insoutenable, parce qu'elle ne tient absolument pas compte du relief sous-marin »[5].
La théorie actuelle de la tectonique des plaques, qui introduit les forces de divergence et subduction et décrit la dynamique de la lithosphère, donnera à la fois tort et raison et à la théorie de Wegener et à la théorie des ponts continentaux en inventant les plaques tectoniques, qui intègrent à chaque plaque continentale la part d'océan qui lui est contigüe. En revanche, elle corroborera les seuls arguments paléontologiques de Wegener, qui restent toutefois entachés de quelques incohérences, et invalidera les contre arguments hydrographiques de Le Danois.
Toutes ces constatations l'amènent à proposer, vingt ans avant ceux qui commenceront à s'en faire les spécialistes[11], de définir une zone biologique intermédiaire entre le plateau continental et les abysses, la zone benthyale[17].
Biographie
Marin de la Station biologique de Roscoff (1905-1918)
En 1924, il réembarque sur la Tanche pour diriger une mission dont l'objet est de faire dans les eaux algériennes et tunisiennes les relevés qui permettront de dresser la carte des fonds chalutables[2]. L'expédition se poursuit hors de Méditerranée au large du Maroc, dont il a déjà cartographié les fonds côtiers et où les données de température et de la salinité mesurées[2] viendront corroborer l'hypothèse des transgressions atlantiques.
Il s'emploie à faire construire le premier navire océanographique français qui ne soit ni un bâtiment militaire transformé ni une entreprise privée. Le Président Théodore Tissier est lancé en 1933, son commandement confié à Lucien Beaugé. Édouard Le Danois en dirige les campagnes à travers les mers atlantiques de l'Empire pour le compte du ministère de la marine marchande jusqu'en 1940. À son bord, il conduit lui-même de 1934 à 1938 des campagnes d'exploration dans lesquelles il se fait assister de la photographe Anita Conti. Celle-ci est chargée de faire venir à bord et guider des journalistes, tels Andrée Viollis ou Pierre Bret, d'accueillir et convaincre les personnalités politiques. Ces campagnes sont consacrées principalement à la bathymétrie, laquelle est réalisée à l'aide d'une sonde sonore Boston mise au point par Pierre Marti et d'un fathomètre à ultrasons Langevin Florisson Tailly combiné à un détonateur (un fusil) et à un enregistreur Marti[27].
Durant ces quatre années de campagnes, plusieurs missions sont consacrées à un relief sous-marin situé à trente millesau large de la côte cantabrique. Le lieu, que les pêcheurs appellent El Cachucho(es), se relève être une montagne sous marine de quatre mil cinq cents mètres de haut, sorte de jumelle des Pics d'Europe bordée d'une paroi verticale de quatre mil mètres, le canyon de Llanes. Riche d'une exceptionnelle biodiversité, le site abrite plus de six cents espèces, dont des éponges géantes centenaires, le merlan bleu, le calmar géant (jusqu'à neuf cent cinquante kilogrammes pour quatorze mètres de long), la rascasse de fond. Les résultats ne seront publiés qu'en 1948 et le banc qui se forme autour du sommet, lequel affleure quatre cent cinquante mètres sous la surface de la mer, porte depuis le nom de « banc Le Danois ». C'est aujourd'hui un site privilégié d'observation des grands cétacés, rorqual commun, cachalot, baleine à bec...
Durant l'Occupation, en 1941, l'OSTPM et son directeur sont chargés d'étudier les moyens d'exploiter les ressources marines afin de pallier la pénurie alimentaire. C'est à cette occasion qu'Édouard Le Danois se lie à Théodore Monod, directeur de l'Institut d'Afrique noire, qui a l'avantage d'être resté à Dakar, loin de Vichy.
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, en 1944, Édouard Le Danois cède la direction de l'OSTPM à Jean Le Gall. Il est nommé en 1945 haut commissaire[2] d'un nouvel organisme concurrent, l'Office des industries de transformation des produits de la pêche[18]. Au bout de deux ans, en 1947[2], l'OITPP fusionne avec l'OSTPM, lequel deviendra en 1953 l'ISTPM et fusionnera en 1984 avec le CNEXO pour former l'IFREMER. Ses fonctions d'administrateur n'empêchent pas Édouard Le Danois de reprendre en 1948, à l'âge de soixante et un an, l'exploration des fonds du golfe de Gascogne[23].
Travaux scientifiques
Annales de l'Institut océanographique
Contributions à l'étude systématique et biologique des poissons de la Manche occidentale, t. V, fasc. 5, Masson, Paris, 1913, 215 p.
Étude hydrologique de l'Atlantique-Nord, t. I, fasc. 1, E. Blondel La Rougery , Paris, 1924, 52 p.
Avec Louis Joubin
Catalogue illustré des animaux marins comestibles des côtes de France et des mers limitrophes, avec leurs noms communs français et étrangers, vol. I, Blondel La Rougery , Paris, 1924, 220 p.
Catalogue illustré des animaux marins comestibles des côtes de France et des mers limitrophes, avec leurs noms communs français et étrangers, vol. II, Blondel La Rougery , Paris, 1926, 196 p.
Catalogue illustré des animaux marins comestibles des côtes de France et des mers limitrophes, avec leurs noms communs français et étrangers, vol. III, Blondel La Rougery , Paris, 1928, 136 p.
Océan Atlantique. Côte sud-ouest d'Irlande et Banc de Porcupine, carte de pêche., Service hydrographique de la Marine & Office scientifique et tochnique des pêches maritimes, Paris, 1921, 3 pl., coul., 895 × 665, ca. 1:580 000.
Océan Atlantique. Entrée ouest de la Manche, carte de pêche., Service hydrographique de la Marine & Office scientifique et technique des pêches maritimes , Paris, 1921, 2 pl., coul., 895 × 665, ca. 1:600 000.
Côtes du Maroc, Service hydrographique de la Marine & Office scientifique et technique des pêches maritimes, Paris, 1921.
« Les Poissons comestibles de la Manche et de l'Atlantique français, leur description, leur pêche, leur reproduction », in Journal de la marine marchande, p. 16-17, Paris, 1921.
« La biologie du thon blanc ou germon », in Comptes rendus hebdomadaires, t. CLXXIII, p. 1028-1030, Académie des sciences, Paris, 1921.
La Morue, Comité de propagande pour la consommation de la morue, Paris, 1950, réed. 1954, 1956, 57 p., rééd. 1959, 62 p.
« La Mer », in Revue maritime, p. 289-306, Société d'éditions géographiques, maritimes et coloniales, Paris, .
Recherches sur les transgressions atlantiques
« Recherches sur le régime des eaux Atlantiques au large des côtes de France et sur la biologie du thon blanc ou germon », in Notes et Mémoires de l'Office scientifique et technique des pêches maritimes, no 9, p. 13-16, E. Blondel La Rougery , Paris, 1921.
« Nouvelles recherches sur le régime des eaux atlantiques et sur la biologie des poissons comestibles (germon-hareng-merlu) », in Notes et Mémoires de l'Office scientifique et technique des pêches maritimes, no 17, p. 12-13, E. Blondel La Rougery , Paris, 1922.
Avec G. Belloc, « Recherches sur le régime des eaux atlantiques et sur la biologie des poissons comestibles (3e série) », in Notes et Mémoires de l'Office scientifique et technique des pêches maritimes, no 34, p. 21-24, E. Blondel La Rougery , Paris, 1923.
« Les harengs des Smalls et les conditions hydrologiques de leurs migrations », in Notes et Mémoires de l'Office scientifique et technique des pêches maritimes, E. Blondel La Rougery, Paris , 1924, 31 p.
« Le Conseil international pour l'exploration de la mer, compte rendu sommaire de la session tenue à Copenhague, », in Notes et Mémoires de l'Office scientifique et technique des pêches maritimes, E. Blondel La Rougery , Paris, 1921, 20 p.
« Travaux de l'Office des pêches depuis son origine. Rapport complémentaire adressé à M. Th. Tissier, président du Conseil d'administration de l'Office des pêches maritimes. », in Notes et rapports de l’ Office scientifique et technique des pêches maritimes, n° 50, E. Blondel La Rougery , Paris, 1926, 62 p.
Rapport sur les mesures réglementaires à prendre d'urgence pour remédier à la situation critique de l'industrie de la pêche due à l'appauvrissement des fonds, Imprimerie nationale , Paris, , 15 p.
Rapports annuels de l'OSTPM
Un rapport par an publié en janvier rendant compte principalement des croisières du Président Théodore Tissier.
En tant que directeur adjoint à partir de 1922
« L'Organisation et le fonctionnement de l'Office scientifique et technique des pêches pendant l'année 1920-1921 », in Notes et rapports de l'Office scientifique et technique des pêches maritimes, no 6, E. Blondel La Rougery , Paris, 1921.
... jusqu'en 1926.
En tant que directeur
« Rapport sur le fonctionnement de l'Office scientifique et technique des pêches maritimes : suivi de la statistique des régions de pêche (1926-1927) », in Revue des travaux de l'Office scientifique et technique des pêches maritimes, no 52, E. Blondel La Rougery , Paris, 1927.
... jusqu'en 1945.
Rapports de missions d'exploration
« Les conditions de la pêche à la morue sur les bancs de Terre-Neuve », E. Blondel La Rougery , Paris, 1924, 48 p.
« Remarques sur quelques ports de pêche de l'Amérique du Nord », E. Blondel La Rougery Paris, 1923, 19 p.
Avec R. Rallier du Baty & G. Ranson, « Recherches sur les fonds chalutables des côtes de Tunisie », in Annales de la Station océanographique de Salammbô, no 1, Blondel La Rougery, Paris, 1925, 56 p.
Avec le concours de G. Belloc, R. Rallier du Baty & G. Ranson, « Recherches sur les fonds chalutables des côtes d'Algérie (croisière du chalutierTanche en 1924) », in Mémoires de l’Office scientifique et technique des pêches maritimes, n° spécial 3, E. Blondel La Rougery , Paris, 1925, 56 p.
« Premiers résultats des croisières de l'office des pêches maritimes exécutées sur le navire Président Théodore-Tissier », in Revue Scientifique. Revue Rose Illustrée., 73e année, no 5, p. 145-152, [s. l.], .
Publications pédagogiques
Manuels de pêche
L. Beaugé, G. Belloc, Boury, Desbrosses, Fage, J. Le Gall, Lambert, Rémy & Schvinte, dir. É. Le Danois, préf. cdt. Cochin, Mémoires de l'Office des pêches maritimes, n° spéc. 9 & 10 "Manuel des pêches maritimes françaises, vol. I", Office des pêches maritimes, Paris, , 141 p.
L. Beaugé, G. Belloc, Boury, Desbrosses, Fage, J. Le Gall, Lambert, Rémy & Schvinte, dir. É. Le Danois, préf. cdt. Cochin, Mémoires de l'Office des pêches maritimes, n° spéc. 11 & 12 "Manuel des pêches maritimes françaises, vol. II", Office des pêches maritimes, Paris, , 200 p.
Ichtyonomie bretonne
Édouard Le Danois, qui s'est toujours montré préoccupé par la question[29], a introduit soixante quinze nouveaux noms de poissons dans le vocabulaire breton[30].
« Les noms de quelques animaux et végétaux marins en dialecte du Léon », in Bulletin archéologique, n° XXV, p. 549, Association Bretonne, Plouër-sur-Rance, 1910.
Edouard Le Danois: un marin, un naturaliste : 1887-1968, exposition organisée par la ville de Saint-Germain-en-Laye, bibliothèque municipale de Saint-Germain-en-Laye, du au , 52 p.
↑ a et bJ. Gaudant, « Principaux résultats de l'enquête sur la dérive des continents», in Travaux du Comité français d'Histoire de la Géologie, 3ème. série, t. III, p. 25, COFRHIGEO, février 1989.
↑B. Guillamont, J. F. Bourillet, S. Arnaud-Haond & A. F. Deton, « Cartographie et caractérisation d'habitats profonds vulnérables : les coraux d’eaux froides de la pente continentale du golfe de Gascogne. Actions en cours et programmées. », in CARHAMB’AR, p. 199, Service DYNECO-AG de l'IFREMER & Agence des aires marines protégées, Brest, 3-5 février 2009.
↑ a et bG. Chatry, « L’ISTPM et le CNEXO : présence en Bretagne et fusion. », in Du pôle aux réseaux. Autour de la construction d'un système d'enseignement supérieur et de recherche en Bretagne (1945- 2015). Entre déploiement territorial, diversification et structurations., Service communication de la MSHB, Rennes, 18 et 19 juin 2015.
↑G. Chatry, « L’ISTPM et le CNEXO : présence en Bretagne et fusion », in Recueil des résumés ~ Colloque Du pôle aux Réseaux. Autour de la construction d’un système d’ESR en Bretagne 18-19 juin 2015, p. 22, , Service communication de la MSHB, Rennes, 2015.
↑Faire part, in Cybium, vol. IX, no 3, p. 322, Muséum national d'histoire naturelle, Paris, 1985. Pour lire le document, recopier l'adresse sfi.mnhn.fr/cybium/numeros/1985/93/11-InMemLeDanois[93]322.pdf .
↑H. Bouasse, Bibliothèque scientifique de l'ingénieur et du physicien, vol. XLIII "Séismes et Sismographes", Delagrave, Paris, 1927.
↑É. Le Danois, Les profondeurs de la mer, trente ans de recherches sur la faune sous-marine au large des côtes de France., Payot, Paris, 1948, 303 p.
↑É. Le Danois, Annales de l'Institut océanographique, t. V, fasc. 5, Masson, Paris, 1913, 215 p.
↑ a et bÉ. Le Danois, Recherches sur le régime des eaux Atlantiques au large des côtes de France et sur la biologie du thon blanc ou germon, E. Blondel La Rougery , Paris, 1921.
↑É. Le Danois, Les conditions de la pêche à la morue sur les bancs de Terre-Neuve, E. Blondel La Rougery , Paris, 1924, 48 p.