André Derain, né le à Chatou et mort le à Garches, est un peintrefrançais, connu pour être l'un des fondateurs du fauvisme. Il est également peintre de décors et costumes de ballets et de théâtre, graveur, illustrateur, sculpteur et écrivain.
Salué comme le pionnier d'un nouvel art, le fauvisme, avant la guerre de 1914, il s'oriente après 1918 vers un réalisme au classicisme renouvelé où s'exprime son goût du théâtre et des lettres qui en fait l’une des figures majeures de l'entre-deux-guerres. Mis en cause à la Libération comme collaborateur, il est blâmé[1] et apparaît ensuite comme le survivant d'un ancien monde pour « qui la violence a donné l'illusion de la force[2] ».
André Derain est né à Chatou (Seine-et-Oise, aujourd'hui Yvelines), dans une famille aisée[3]. Son père Louis-Charlemagne, crémier-glacier au 87, rue Saint-Germain[4] est conseiller municipal. Sa mère, Clémentine Angélique Baffé, a perdu plusieurs enfants en bas âge, seul restait un frère aîné, René (1870-1890[5]). André Derain est placé dans une famille nourricière à Orgeval. Elève au lycée Chaptal, c'est vers l'âge de 15 ans qu'il commence à peindre. À 18 ans, il entre à l'académie Camillo, dirigée par Eugène Carrière, un ami de Pierre Puvis de Chavannes. En 1900, il rencontre Maurice de Vlaminck dans un train de banlieue. En 1901, c'est en effectuant des copies au Louvre qu'il fait la connaissance d'Henri Matisse[4].
Jeunes peintres démunis avec Vlaminck, ils partagent un atelier dans la Maison Levanneur à Chatou. Il effectue son service militaire entre 1901 et 1904. Il commence à peindre ses premiers paysages et illustre les premiers romans de Vlaminck dont D'un lit dans l'autre[4]. Il rencontre le poète et critique Guillaume Apollinaire qui dédicacera un poème dans son recueil Alcools[6]. Autodidacte, il fréquente assidûment les musées et nourrit sa réflexion esthétique d'un grand nombre de lectures (Zola, Nietzsche…). À l'influence déterminante de Vincent van Gogh, qu'il découvre en 1901, s'ajoute celle des néo-impressionnistes et surtout l'œuvre de Paul Cézanne qu'il voit au premier Salon d'automne en 1903.
L'invention du fauvisme
Après avoir suivi les cours de l'académie Julian[7], Derain rejoint Matisse à Collioure en 1905. Ensemble ils créent la première révolution esthétique du XXe siècle : le Fauvisme (couleurs vives, dessin simplifié, etc. (Collioure, huile sur toile, 81 × 100,3 cm, 1905, Metropolitan Museum of Art, New York).)
Il expose cinq huiles sur toiles et quatre pastels au Salon d'automne, en 1905, dans la Salle aux fauves avec Matisse, Vlaminck, Braque, Camoin, Marquet, Girieud ; il signe la même année son contrat avec Ambroise Vollard (Bougival, huile sur toile, 41 × 33 cm, 1905, musée du Havre). En 1905 et 1906, il voyage à Londres (Londres, Westminster, Regent Street, Londres, huile sur toile, 66 × 99,4 cm, 1906, Metropolitan Museum of Art, New York). Il est alors considéré comme un des meilleurs représentants du fauvisme[4].
En 1906-1907, il est bouleversé par la découverte des arts « primitifs » à Londres et commence avec Vlaminck à collectionner ce que l'on appelle, alors, l’« art nègre ». Il achète un masque Fang. En étroite relation avec Matisse, il poursuit sa réflexion sur les liens entre décoration et expression. Il s'intéresse aux arts décoratifs : céramique, bas-reliefs en bois, sculpture qu'il pratique sur pierre. Il réalise de grands panneaux sur le thème de l'âge d'or, de la danse ou des baigneuses. Après 1906, l'influence de Paul Gauguin décroit sur sa peinture, sa palette change. Puis l'année suivante, il déménage à Montmartre pour se rapprocher de ses amis Pablo Picasso, Braque, Apollinaire, Kees van Dongen et Max Jacob… Il fréquente le Bateau-Lavoir, est influencé par Picasso. Il rencontre alors à Montmartre Alice Géry, la femme de Maurice Princet, mathématicien et théoricien du cubisme[4]. Elle se sépare de son mari et épousera André Derain en 1926 ; ce dernier peindra à de nombreuses reprises son visage sévère et élégant[8].
Alice Géry (1884-1975)
Alice Géry est une fille d'ouvrier qui ressemblait à une « Madone aux cheveux libres », suivant la description que fait d'elle Gertrude Stein dans ses mémoires : « Elle a les pouces solides[9]. » Elle est un des modèles de Picasso de la période bleue (Jeune fille accoudée, dessin, 1903). « Femme sauvage », selon Gertrude Stein, qui dit l'avoir toujours aimée[10]. Alice Géry a un caractère trempé ; elle et Derain assumeront l'éducation de sa nièce Geneviève, née en 1919. Mme Derain organise la vie et supporte les aventures de son mari André. Elle pose pour Charles Despiau en 1922[11].
Le retour au classicisme
En 1906, Derain séjourne à l'Estaque où il travaille avec Braque. En 1907 il passe l'été à Cassis, où Matisse le visite.
En 1908, Derain séjourne à Martigues où Friesz, Braque et Dufy sont ses voisins. Il peint une série de paysages précubistes représentant la ville et ses environs puis avec Dufy à L'Estaque. Il illustre le premier livre de poésie de Guillaume Apollinaire, L'Enchanteur pourrissant (1909). Après avoir peint des paysages de Cagnes-sur-Mer, il rejoint Picasso en Espagne à Cadaqués en 1910[12]. Il participe avec Braque et Picasso à la première phase de l'invention du cubisme dite cézano-cubiste : 1908-1910 (Maisons au bord de l'eau, huile sur toile, 61 × 102,3 cm, 1910, musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg). Il s'installe au 13, rue Bonaparte dans le VIe arrondissement. Dès 1911, il revient à une facture qui semble plus traditionnelle, amorce un retour à la perspective et au clair-obscur, à la suite d'un séjour dans le nord et le centre de la France. Il anticipe alors le retour au classicisme qui s'imposera après 1918 à Picasso, Braque et à la nouvelle génération des peintres. Cette période de son œuvre, dite gothique ou byzantine, d'une grande originalité, a fortement influencé la peinture métaphysique italienne d'après-guerre (De Chirico, Sironi, etc.) et la peinture allemande de la Nouvelle Objectivité. Elle a également beaucoup impressionné les futurs poètes surréalistes français (Breton, Aragon, Desnos...)[13].
En 1912, il séjourne à Vers (Lot), près de Cahors. Il loge dans le presbytère (Église à Vers, huile sur toile, 65,5 × 92,3 cm, 1912, musée de Cardiff). Plusieurs des toiles qu'il a peintes alors se trouvent aujourd'hui au MoMA à New York ou en Russie. Il participe à Londres à la Second Postimpressionnist Exhibition[4]. Il illustre un recueil de poèmes de Max Jacob en 1912 : Œuvres burlesques et mystiques du frère Matorel mort au parloir. En 1913, il retrouve Vlaminck à Martigues et participe à l'exposition de la Toison d'Or à Moscou et de l'Armory Show à New York. En 1914, il expose dans les galeries de l'expressionnisme allemand, à la Neue Galerie de Berlin ; puis à Düsseldorf, enfin à Dresde. Pendant l'été il est à Montfavet près d’Avignon, avec Braque et Picasso, quand éclate la guerre. Il s'éloignera de Picasso à l'issue de la guerre, leurs liens s'étant distendus.
La Première Guerre mondiale
Au début de la Première Guerre mondiale, Derain a 34 ans. Il est mobilisé dans l'artillerie, au régiment d'infanterie de Lisieux. Il sert en Champagne, dans la Somme, à Verdun, au chemin des Dames jusqu'en 1917, puis dans l’Aisne et les Vosges. Le , il écrit à sa femme Alice Derain : « J'avais toujours pensé, espéré même, tout d'une guerre et je crois que je ne suis tout de même pas à la hauteur. Je n'y comprends rien au fond. Cette guerre continuelle, journalière, sans histoire, est vraiment terrible. C'est pourquoi on n'en sortira difficilement. Jamais on ne comprendra. » Il est donné une fois pour mort. À partir de 1915, Derain est mentionné dans diverses revues expressionnistes allemandes comme symbole d'amitié et de respect. En 1915, le peintre et poète allemand Carl Einstein fait paraître un long poème Gedenken des André Derain (Souvenir d'André Derain) dans la revue berlinoise et expressionniste Aktion (nos 20-21 du [14]).
En 1919, Derain fournit des illustrations pour le premier livre d'André Breton, Mont de Piété. Il reste peu de dessins connus de la période, et le titre d'une seule toile perdue : Le Cabaret du Front, vue par André Breton en 1921 dans l'atelier du peintre[15]. Il est démobilisé en 1919 ; on peut lire sur son livret militaire : « Campagne contre l'Allemagne du 2 août 1914 au 10 mars 1919. Pas de blessures ni de décoration. Sait lire et écrire. Ne sait pas nager[16]. » Derain est porté à l’ordre du jour du régiment en pour sa conduite sur la route de Bras à Douaumont[17].
Le retour à l'ordre
En 1919, Cocteau, dans son article « Au revoir, Derain », explique la rupture qu'opère Derain, par rapport au cubisme de Braque et de Picasso (période 1911-1912) dans lequel il n'a pas prolongé son engagement : « Les enseignes, des fresques de boulangers, de marchands de poisson à Pompéi légitiment ses natures mortes pour ceux qui veulent reconnaître[19]. », présentant ainsi l'idéal néo-classique de Derain en rupture avec l'avant-garde d'avant la Première Guerre mondiale.
Il se brouille avec Vlaminck. Et accueille définitivement sa belle-sœur, Suzanne Géry, avec sa fille Geneviève (née en 1919), que Derain adorait ; il la peindra une centaine de fois[20] (Le Peintre et sa famille, huile sur toile, 176 × 124 cm, 1939, Tate Gallery, Londres).
Un décorateur de théâtre et de ballet demandé
Pour le balletLa Boutique fantasque, de Diaghilev, animateur des Ballets russes, joué à Londres en , il crée des marionnettes mécaniques[21]. La création a lieu à Londres, cette expérience l'amène à concevoir de nombreux décors et costumes de ballets pendant les années 1920 et 1930 pour la scène[22]. Pendant la guerre, il a créé des masques avec des boîtes et des coquillages ; en 1919 les costumes et décors pour L’Annonce faite à Marie de Paul Claudel, pour une tournée en Scandinavie. En 1924, il participe au premier film de Jean Renoir, La Fille de l'eau, dans le rôle du patron du café, avec Catherine Hessling en vedette et dont il a fait le portrait. En 1926, il dessine les décors pour le ballet Jack in the Box, musique d’Erik Satie pour les Ballets russes (Serge Grigoriev's photo album/scrapbook, Library of Congress, Washington, USA). Il réalise les décors pour les ballets : La Concurrence, en 1932, Les Fastes et Les Songes, en 1933, dont il a écrit les arguments[22]. Au total, « Entre 1918 et 1953, il a créé les décors et costumes de 13 ballets, 2 opéras, et 2 pièces de théâtre »[23].
Il renouvelle son contrat avec la galerie Kahnweiler en 1920. En 1922, il expose ses tableaux à Stockholm, à Berlin, Munich et à New York. Paul Guillaume devient son marchand attitré en 1923. Sa réputation grandit encore lorsqu'il reçoit le prix Carnegie en 1928 pour le tableau La Chasse et continue à exposer dans le monde entier : à Londres, Berlin, Francfort, Düsseldorf, New York et Cincinnati. Entre 1925 et 1928, les prix des tableaux de Derain passent de 10 000 F à 87 000 F[24]. Célèbre figure des Années folles, cet homme de haute taille (1,83 m), collectionne les voitures[25] (les Bugatti), les châteaux (à Chailly-en-Bière, à Parouzeau) et les relations avec les femmes[26].
En 1929, il se fait construire une maison-atelier par l'architecte Zielensky au 5, rue du Douanier-Rousseau dans le 14e arrondissement de Paris, en face de chez Braque. Il étonne par son esprit pratique, il aime réparer les voitures, pratiquer la musique, jouer du piano ou de l'orgue, monter des maquettes d'avion ou tirer les cartes au tarot… Ainsi, en 1931, il écrit à la demande d'André Breton, qui le considère comme le peintre du « trouble moderne[27],[28] », un petit traité du tarot, « Le Critérium des as », qui est publié dans la revue du surréalisme, Minotaure. Certains critiques y voient un touche-à-tout fantasque, velléitaire. En 1931, un numéro spécial des Chroniques du Jour paraît : « Pour ou contre Derain[29] ». Pour ses partisans, Derain devient le représentant d'une peinture classique de tradition française réaliste, aux références éclectiques et assumées. Sa palette est caractérisée par des couleurs brunes et des clairs-obscurs, ses natures mortes et nus féminins évoquent Courbet, ses paysages l'École de Barbizon ou Corot. Il est alors qualifié de « plus grand peintre français vivant », de « régulateur », loué par Élie Faure[30] et André Salmon.
En 1931, la galerie Paul Guillaume fait une grande exposition de ses tableaux personnels à Paris ; Derain y a une grande place.
En 1934-1935, Derain renforce ses liens avec un jeune peintre admirateur, Balthus, lequel exécute son portrait, qui se trouve aujourd'hui au MoMA de New York. Le , son marchand Paul Guillaume meurt. Dorénavant, Derain n'a plus de marchand attitré. En 1935, il vend ses propriétés et achète une grande maison à Chambourcy avec un domaine qui « comporte des bassins et leurs cascades, des arbres immenses et centenaires, un terrain de tennis à l’abandon, une « petite folie japonisante », un verger, un potager, une serre et des roses et une orangerie où il peindra ses grands formats et où il installera par la suite un four et un atelier de potier. Il aménagera son atelier au premier étage de la demeure, dans une pièce avec double ouverture sur cour et sur parc, donnant accès à la terrasse[31] ». Là il recevra ses amis Braque, Poiret, Lifar, Jouhandeau, Balthus, Malraux et Louise de Vilmorin, auxquels il fait découvrir le désert de Retz. C'est à cette époque qu'il rencontre Giacometti.
Un illustrateur prolifique
Son activité d'illustrateur de 1932 à 1942 devient essentielle : Ovide, Oscar Wilde, Rabelais, et aussi Héliogabale, d’Antonin Artaud. En 1934, il grave 33 burins sur cuivre pour un projet d'illustration du Satyricon de Pétrone, commandé par Ambroise Vollard[32]. En 1935, la Kunsthalle de Berne organise la première grande rétrospective de ses œuvres. En 1937, à l'occasion de l'Exposition universelle, une exposition de groupe est organisée au Salon des Indépendants, au Petit Palais, à Paris. L'œuvre de Derain bénéficie d'une salle d'exposition particulière.
En 1938, Derain, avec Arp, Braque, Auguste Herbin, Picasso, participent au comité antinazi pour la défense d'Otto Freundlich, peintre et sculpteur allemand pionnier de l'abstraction, dont une des sculptures figure sur la couverture de l'exposition « L'Art dégénéré » (Entartete Kunst), à Munich[33]. Cependant, aux dires d'Otto Abetz, Derain aurait été invité à l'ambassade d'Allemagne. Suzanne de Bruyker, la femme de l'ambassadeur avait posé pour le peintre[34], au cours des années 1920, comme elle avait posé pour Picasso et d'autres. De même, Demetra Massala, la femme du sculpteur nazi Arno Breker, avait également été leur modèle. Brecker, qui avait longtemps vécu à Montparnasse dans les années 1920 et 1930, fréquentait les artistes et collectionnait des tableaux : il y avait des œuvres de Derain, mais aussi de Picasso, Vlaminck, Léger et Ozenfant, dans son château de Jäckelsbruch près de Berlin[35]. En 1939, Derain expose à New York. Waldemar George, dans un article intitulé « André Derain ou l'apprenti sorcier » paru en , qualifie l'œuvre d'André Derain, en opposition à celle de Picasso et de Matisse, comme étant d'essence « contre-révolutionnaire[36] » dans le domaine esthétique.
Le style fauviste de Derain a beaucoup influencé la vulgate du style d'illustration de l'entre-deux-guerres, ainsi par exemple les couvertures de la revue Science et Vie ont un style très « derainesque », avec les mêmes couleurs fauves, les mêmes aplats contrastés violets et chauds.[réf. nécessaire]
La Seconde Guerre mondiale
Pendant l'exode de 1940, il fuit avec sa famille vers le sud, en Ariège, et y retrouve Braque. Sa maison de Chambourcy est occupée et pillée par l'armée allemande, en . Aussi Alice Derain aurait demandé à Werner Lange, officier allemand chargé de la Propaganda Staffel, la restitution de La Roseraie. Derain continue de peindre dans l'atelier de son ami Léopold Lévy, 112, rue d'Assas, parti prendre la direction des Beaux-Arts d'Istanbul. En janvier 1941 il loue à Mme Aron, 20 rue de Varennes, un appartement où il s'installe avec Alice Derain, et établit rue Vavin son modèle Raymonde Knaublich et leur fils Boby.
Pendant l'occupation allemande, Derain vit à Paris. Il réalise des cartons de tapisseries. L'éditeur suisse Albert Skira lui commande cent soixante-dix-neuf bois gravés en couleurs pour illustrer le Pantagruel de Rabelais[37]. Derain refusera toute exposition publique dans la capitale pendant la durée de la guerre. En outre, André Derain ne s’implique pas dans la politique culturelle du gouvernement de Vichy. Il refuse la proposition de Georges Hilaire de prendre la direction de l'école des Beaux-Arts et n’accepte aucune responsabilité officielle.
Néanmoins, aux dires de Werner Lange et Otto Abetz, il aurait été en contact avec eux. Et c'est Abetz lui-même qui réconcilie Derain et Vlaminck[38]. Derain est courtisé par les Allemands comme symbole prestigieux de la culture française, alors qu'il expose à la Pierre Matisse Gallery à New York la même année. En échange de la promesse de libération de prisonniers français et de récupérer sa maison de Chambourcy[39], il accepte une invitation d'artistes français pour une visite officielle en Allemagne en 1941, avec notamment Paul Landowski et son ami Maurice de Vlaminck, Kees van Dongen ou encore les sculpteurs Louis-Aimé Lejeune et Paul Belmondo, vice-président de la section des arts plastiques du groupe Collaboration[40], avec lequel il est au comité de l'exposition « Arno Breker », inaugurée le à l'Orangerie de Paris[41]. C'est Jean Cocteau qui ouvre par un discours cette exposition.
Ce voyage organisé par la propagande allemande a un grand retentissement et sera reproché à ses participants. Selon Breker, Derain et Maillol auraient reçu des commandes de Berlin[42] auxquels les artistes n'ont pas donné suite. L'architecte Albert Speer précise dans ses mémoires, Au cœur du Troisième Reich qu'il a aidé Derain, Vlaminck et Despiau à plusieurs reprises, en leur passant différentes commandes[43]. Pour Jean Hélion, Derain donne dans « la sénilité, la platitude et le léchage de botte des nazis[42] ». Un artiste anonyme, qui prend de manière abusive le pseudonyme d'André Deran pour créer la confusion, travaille pour le service Kultur de la propagande allemande et réalise des affiches. L'une signée en 1941 : Les bobards… sortent toujours du même nid, violemment antisémite, stigmatise les francs-maçons et les alliés. Cela peut expliquer qu'André Derain apparaît alors sur une liste noire de collaborateurs français qui devaient être assassinés ou jugés après la Libération, avec Céline, Jacques Chardonne, Jean Luchaire, Pétain, Pierre Laval, etc. liste publiée par Life Magazine aux États-Unis, le [44].
Sa nièce Geneviève se marie en avec Joseph Robert Taillade. Braque est son témoin[5] (Geneviève Taillade (nièce de l'artiste) avec un manteau orange, huile sur toile, 61,6 × 50,5 cm, 1928, musée des beaux-arts de Boston).
Après la guerre
À la Libération, Derain est mis en cause en raison de sa participation au voyage de 1941[45],[46],[47],[48]. Le , un collectif de « juges improvisés » se réunit sous la présidence de Picasso. Derain est exonéré des accusations portées contre lui[49]. En revanche, un an plus tard, en juin 1946, le Comité national d'épuration des artistes peintres, dessinateurs, sculpteurs et graveurs institué par les pouvoirs publics frappe Derain d'une interdiction professionnelle d'exposer et de vendre pendant un an à compter, rétroactivement, du 1er septembre 1944[50]. Derain n'acceptera jamais cette décision et se retirera dans sa maison de Chambourcy[51].
Derain refuse toute manifestation publique de sa production. Il quitte l'atelier de la rue d'Assas et rend l'appartement de la rue de Varennes[52],[53]. Il vit dans sa demeure de Chambourcy (Yvelines), avec sa femme, sa belle-sœur, ainsi que sa nièce, son mari et leurs enfants, tout en travaillant sur des décors de ballets et d'opéras. En 1947, il dessine les costumes et décors de Mam’zelle Angot, un ballet représenté à Covent Garden à Londres[54]. En 1948, il réalise les décors et costumes pour Le Diable l’emporte des ballets de Roland Petit au théâtre Marigny de Paris. Roland Petit déclare alors : « Derain, lui, a tout fait. Il a choisi la musique et l'orchestrateur. Il a écrit le sujet du ballet pour finir par faire ce pour quoi il avait du génie, c'est-à-dire les costumes et les décors[22]. » Il illustre « le Génie du vin » pour les établissements Nicolas.
C'est à cette époque que l'imprimeur Pierre Mourlot tente de réunir dans un livre en trois volumes préfacés par Marcel Camus l'œuvre peint de l'artiste, l'un pour les nus, le deuxième pour les paysages, le troisième pour les décors. Ce projet, qui apportait à l'artiste la caution morale d'un « résistant littéraire », échoue[55]. En 1947, Derain rencontre Edmonde Charles-Roux, journaliste à Vogue, de quarante ans sa benjamine, avec qui il noue une idylle. Elle pose régulièrement pour lui, comme le prouve par exemple le Portrait d'Edmonde de Charles-Roux au collier de perles[56]. Avec elle, Balthus et Giacometti viennent souvent rendre visite au vieux maître. En 1949, la galerie de Berri lui rend hommage par une exposition. Marcel Duchamp écrit alors dans le catalogue de la Société anonyme, légué à la Yale University : « Derain fut constamment l'adversaire des théories. Il a toujours été un vrai croyant du message artistique, non falsifié par des explications méthodiques, et appartient jusqu'à ce jour au petit groupe d'artistes qui « vivent » leur art[57]. »
En 1950, Derain illustre les Contes de La Fontaine et Citadelle, un roman de Saint-Exupéry et recommence à pratiquer la sculpture et le modelage. Grâce à l'entregent d'Edmonde Charles-Roux, il conçoit les décors de L'Enlèvement au sérail de Mozart, pour le festival d'Aix-en-Provence et, un an avant sa mort, ceux du Barbier de Séville pour le même festival. Ses relations avec sa femme se dégradent au point qu'Alice Derain fait saisir les comptes de son mari. De 1947 à 1954, Derain est assisté par la jeune sculptrice Nicole Algan, formée par Charles Despiau. Selon Michel Charzat, Derain aurait eu avec elle un fils (caché)[58].
Il est atteint soudain d’une maladie des yeux. Alors qu’il s'en remet progressivement, il meurt à l'hôpital de Garches (Seine-et-Oise, aujourd'hui Hauts-de-Seine), le , des suites d'un accident de voiture[59]. Il est enterré au cimetière de Chambourcy.
On retrouve dans son atelier les fragments d'un Traité de la peinture, que la galerie Maeght publie partiellement en 1957 dans sa revue Derrière le miroir[60], ainsi qu'un plaidoyer où il tente d'expliquer les pressions qui l'ont amené à accepter le voyage en Allemagne. Néanmoins, des historiens comme Jonathan Petropoulos[61] prétendent que Derain aurait accepté le mécénat de Ribbentrop[62]. Ce dernier avait dépêché un émissaire pour lui proposer de passer l'été dans son château au Tyrol et de faire le portrait des membres de sa famille : Derain avait refusé.
Après 1954
Le musée national d'art moderne à Paris lui consacre une rétrospective, du au , sous le commissariat de Jean Cassou. Alberto Giacometti manifeste toujours son admiration pour Derain[63]. « Depuis le jour, […] en 1936, où une toile de Derain vue par hasard dans une galerie — trois poires sur une toile se détachant sur un immense fond noir — m'a arrêté, m'a frappé. […] Les qualités de Derain n'existent qu'au-delà du ratage, de l'échec, de la perdition totale […] Derain est le peintre qui me passionne le plus[64]. » Le , le sculpteur Paul Landowski lui écrit : « Exposition de l'ensemble de l'œuvre de Derain. Et bien, non, celui-là non plus n'est pas un grand bonhomme. De manière générale c'est faible et impersonnel dans le mauvais sens du terme. L'homme est habile, mais cherche souvent le vent. Avant de se mettre à un tableau, il devait lever son pinceau, ou son doigt mouillé, pour sentir d'où venait le vent. C'est comme pour Dufy, quoique mieux peint et moins antipathique. C'est dommage. Il y avait là un don. Encore une victime de l'époque. Si d’une époque passée on a pu la qualifier de Belle Époque, celle-ci mérite le nom de la Sale Époque. Et en grande partie ce sont les hommes de lettres sans courage les responsables[65]. » Marcel Duchamp déclare quant à lui : « Derain a toujours cru fermement au message artistique vierge de toute explication méthodique et aujourd’hui encore appartient au petit groupe d’artistes qui vivent leur art »[66].
Pour régler les frais de succession, sa femme Alice Derain et le fils du peintre, Boby, mettent en vente les 9 et , les objets de Chine de haute époque, d'art africain et précolombien, du Louristan, d'Égypte, de Grèce, de l'Antiquité classique et du Moyen Âge, ainsi que la collection d'instruments de musique, les marionnettes, les ex-votos, etc., que Derain avait collectionnés. Puis, le , ce fut au tour de la collection de peintures, de dessins et autres de Cézanne, Corot, Ingres, Modigliani, Renoir, Seurat, Toulouse-Lautrec, Utrillo, Vlaminck, d'être vendue[67].
Son épouse Alice Derain est morte le , à 91 ans. Sa nièce Geneviève Taillade vend la maison de Chambourcy en 1989 ; sa fille, Geneviève Taillade, dite « Javotte », petite-nièce du peintre[68] est actrice[69] et présidente de l'association des amis d'André Derain.
Rachetée en 2014 par la ville de Chambourcy, la maison a été réaménagée pour créer un espace de visite dédié à montrer le lieu de vie et de création de l'artiste entre 1935 et 1954[70]. Elle est renommée la Maison André Derain[71].
Une partie de l'œuvre de Derain, provenant de l'ancienne collection de son fils, André Charlemagne Derain, dit « Boby » (1939-1992), soit 4 200 dessins a été dispersée aux enchères à Saint-Germain-en-Laye, les 23 et (succession de madame Raymonde Knaublich, mère de Boby[72]).
En , les ayants droit d'André Derain mettaient en vente chez Christie's[73] les photographies d'Eugène Atget découvertes fortuitement lors du déménagement de la Roseraie.
Présentation de l'œuvre
Avant la Première Guerre mondiale, Derain pratique un art pictural d'avant-garde, post-impressionniste et fauve, fait de couleurs pures, franches et juxtaposées. Par la suite, son œuvre réaliste se concentre sur des sujets et thèmes classiques qui font écho aux œuvres des musées, dans une volonté de prolongement ou de retour à une tradition classique. Ce mouvement, également appelé par Jean Cocteau le « retour à l'ordre », caractérise l'art néo-classique figuratif des années 1920 aux années 1940[74].
Si l'œuvre de Derain est essentiellement picturale, il a également signé les décors et les costumes de nombreux ballets, illustré une trentaine de livres et réalisé des affiches. Il est également connu comme sculpteur. Une grande partie de son œuvre (80 peintures, 77 sculptures, des dessins, mais aussi des objets d'art primitif lui ayant appartenu), précédemment dans la collection Pierre et Denise Lévy, est présentée au musée d'art moderne de Troyes[75]. Elle est représentée dans un nombre considérable de musées dans le monde et en France.
André Derain a également créé quelques bijoux en collaboration avec le joailler François Hugo. Le livre d'atelier de ce dernier compte 6 bijoux du peintre en matériaux précieux et inspirés de sujets antiques. Il réalise par exemple La bohémienne ou Fauve qui ont été présentés à l'International exhibition of modern jewellery de Londres en 1961[76].
↑Par le comité national d’épuration des artistes peintres, dessinateurs, sculpteurs et graveurs, le 5 avril 1946 à un an de suspension professionnelle. Procès-verbal du 5 avril 1946, in Paul Landowski, Journal, à lire sur http://journal.paul-landowski.com/node/177
↑Selon le mot de Pierre Francastel, cité dans le Grand Larousse, article « Derain », 1973, p. 3770.
↑« Le peintre », sur andrederain.fr, (consulté le )
↑ abcde et fPierre Cabanne, André Derain, Somogy, Paris, 1990, p. 134.
↑She was rather a madonna like creature, with large lovely eyes and charming hair. Fernande afterwards explained that she was the daughter of a workingman and had the brutal thumbs that of course were a characteristic of workingmen. She had been, so Fernande explained, for seven years with Princet who was in the government employ and she had been faithful to him in the fashion of Montmartre. Then they married. No sooner were they married than Alice Princet met Dérain and Derain met her. It was wat the french call un coup de foudre… She and Derain went off together and they have never separated since. I always liked Alice Derain. She had a certain wild quality that perhaps had to do with her brutal thumbs and was curiously in accord with her madonna face, dans http://bioart.pbworks.com/w/page/7918466/Alice%20Princet
↑Hélène Celhay de Larrard, André Derain et la scène, Paris, Bibliothèque nationale de France BNF, , 48 p. (ISBN978-2-7177-2273-4), page 4
↑François Chaubet, Histoire intellectuelle de l'entre-deux-guerres. Culture et politique, Nouveau Monde Éditions, Paris, 2006.
↑Il était considéré comme un fou du volant et deux de ses amies meurent carbonisées dans une course poursuite effrénée avec lui, dans Le Populaire, 6 novembre 1929.
↑Christiane Duparc, « Les infidélités d'André Derain », L'Express, 24 novembre 1994.
↑André Breton, « Idées d'un peintre. André Derain », Les Pas perdus, 1924.
↑Werner Lange, Les Artistes en France sous l'Occupation, Éditions du Rocher, Paris, 2015, p. 89-90.
↑Laurence Bertrand-Dorléac, L'Art de la défaite 1940-1944, p. 78-79.
↑Laurence Bertrand-Dorléac, L'Art de la défaite, 1940-1944, p. 292.
↑Limore Yagil, Au nom de l'art, 1933-1945 : exils, solidarités et engagements, Fayard, 2015.
↑ a et bAlex Dantchev, Georges Braque, le défi silencieux, Éditions Hazan, Paris, 2013, p. 219.
↑Albert Speer, Au cœur du Troisième Reich, Éditions Pluriels, Paris, 2011.
↑(en) Life Magazine, Richard de Rochemont, « The French Underground, Black List », 24 août 1942, p. 86.
↑Laurence Bertrand-Dorléac, L'Art de la défaite, 1940-1944, p. 291.
↑« À l’époque, je les [Derain et Vlaminck] ai jugés sévèrement et aujourd’hui, je continue à réprouver leur attitude. Mais de là à les arrêter et à les empêcher de peindre, il y a un abîme que Picasso a comblé allègrement. Il se débarrasse de la concurrence et fait le démagogue », in Maurice Garçon, de l’Académie française, Journal (1939-1945), édition établie, présentée et annotée par Pascal Fouché et Pascale Froment, Les Belles Lettres, Paris, 2015.
↑Michel Charzat, André Derain. Le titan foudroyé, Paris, Hazan, 2015. L'auteur y évoque une centaine de lettres écrites par Derain à Nicole Algan entre 1947 et 1954.
↑Elisabeth Lagarde, François Hugo et André Derain : l'amitié au service des bijoux d'artistes, Paris, Comité André Derain, 2021-2022, 39 p. (ISSN1763-606X), p. 11
↑Association des études tsiganes, Études tsiganes, Paris, janvier 1987, p. 32.
↑J. P. Wearing, The London Stage 1930-1939: A Calendar of Productions, Performers, and Personnel, Snd éditions, p. 715.
↑Debra Craine et Judith Mackrell, The Oxford Dictionary of Dance, article « Derain », Oxford University, 2010 p. 129.
↑Pascal Mérigeau, Jean Renoir, Flammarion, Paris, 2012, p. 171.
↑(de) Online Katalog der Kunsthalle Bremen, « le Don » (consulté le )
↑(de) Thomas Schmutz, « André Derains Autoportrait à la casquette: Ein Selbstbildnis als ungenützte Strategie », dans Zeitschrift für Kunstgeschichte, vol. 64, n° 3, 2001, p. 397-403 Aperçu en ligne.
↑Livre d'artiste fait à Paris chez H. Kahnweiler, format 27 × 20 cm, en 106 exemplaires, impression du texte et des gravures par P. Birault, cf. W.-J. Strachan, The Artist and the Book in France, éd. P. Owen, Londres, 1969, p. 38, 45-46, 49, 330.
Michel Charzat, André Derain, le titan foudroyé, Hazan, Paris, 2015, 384 p. (ISBN978-2754107457).
Philippe Dagen, André Derain, dessins inconnus, 1901-1954, Éditions Maeght, Paris, 1992, 99 p., (ISBN978-2869411821).
André Derain, Lettres à Vlaminck. Suivies de la correspondance de guerre, Philippe Dagen (dir.), Paris, Flammarion, 1994, 298 p., (ISBN978-2080117564).
Dictionnaire Bénézit, Dictionnaire critique et documentaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs de tous les temps et de tous les pays, vol. 4, Éditions Gründ, , 13440 p. (ISBN2-7000-3014-1), p. 458-461.
Werner Lange, Les Artistes en France sous l'Occupation. Van Dongen, Picasso, Utrillo, Maillol, Vlaminck, Éditions du Rocher, Paris, 2015, 176 p. (ISBN978-2268076492).
(en) Jane Lee, « The Prints of Andre Derain », Print Quarterly, vol. VII, no 1, 1990.
Jean-Noël Liaut, Elle, Edmonde, Éditions Allary, 240 p. (ISBN978-2370731159).
Isabelle Monod-Fontaine, André Derain : An outsider in French art, Copenhague, Statens Museum for Kunst, .
Jonathan Petropoulos, The Faustian Bargain: The Art World in Nazi Germany, Oxford University Press Inc., New York, 2000.
Limore Yagil, Au nom de l'art, 1933-1945. Exils, solidarités et engagements, Éditions Fayard, Paris, 2015 568 p. (ISBN978-2213680897).
Laurence Bertrand-Dorléac (dir.) et de Jacqueline Munck, L'Art en guerre, 1938-1947, catalogue de l'exposition du au , musée d'art moderne de la ville de Paris, Paris Musées, 2012.
Cécile Debray (dir.), André Derain, 1904-1914, la décennie radicale, catalogue d'exposition, Paris, Éditions du Centre Pompidou, 2017 (ISBN978-2-844267870).
[audio] Enregistrement de Brigitte Masson et Christine Berlamonto : Une Vie, une œuvre : André Derain (1880-1954), 1h 27min, 2017 ; émission diffusée pour la première fois sur France Culture le 14 mai 2006.