Représenté avec un énorme succès à la Comédie-Française le , au terme d’une bataille qui a abouti à la suppression du comité de lecture de la Maison de Molière en , Les Affaires sont les affaires a triomphé sur toutes les scènes du monde, notamment en Allemagne et en Russie, a été traduit dans toutes les langues et a été très souvent repris depuis un siècle, sans que son succès se soit jamais démenti (dix-huit troupes francophones ont monté la pièce entre 1994 et 2013, et, en particulier, la Comédie-Française l'a reprise à l'automne 2009 et au printemps 2011).
Résumé
Au cours d’une fin de semaine passée dans son château du Perche, le richissime parvenu Isidore Lechat[N 1], qui dispose d'un grand quotidien indispensable à ses affaires, en traite deux qui sont susceptibles de renforcer encore sa puissance financière et sa surface sociale.
D'un côté, il reçoit, de deux ingénieurs électriciens, Gruggh et Phinck, qui ont besoin d’un financeur, des propositions d’exploitation d’une chute d’eau riche de potentialités de profits, et il parvient à leur imposer sa loi.
De l’autre, il envisage de marier sa fille Germaine au fils d’un noble désargenté, le marquis de Porcellet, son voisin, qu'il tient à sa merci, mais ce projet se heurte à la résistance de la jeune femme. Révoltée, intellectuellement et sexuellement émancipée, Germaine juge son père, souffre de la misère engendrée par ses vols, et choisit la liberté : préférant la misère à un luxe homicide[C'est-à-dire ?], elle part avec son amant, le chimiste Lucien Garraud, employé de son père, et elle se vante de l'avoir choisi, ce qui a profondément choqué les critiques de l’époque : à leurs yeux, elle n'était qu’une fille dénaturée !
Thématiques de la pièce
Une comédie classique
Il s’agit d'une grande comédie classique, dans la continuité de Molière, où la peinture de caractères vivants, fortement théâtralisés, se combine à celle des mœurs édifiantes de la prétendue « Belle Époque ». Les trois unités — unité de temps (moins de 24 heures, sur deux jours consécutifs), unité de lieu (le château de Vauperdu) et unité d’action (la mise au point d'affaires par lesquelles Isidore Lechat espère doubler sa fortune) — y sont respectées.
La puissance de l'argent
Le personnage central, Isidore Lechat, au patronyme symptomatique, est un brasseur d’affaires et un prédateur sans scrupules, produit d’une époque de bouleversements économiques et d’expansion mondiale du capital. Il fait argent de tout et constitue une puissance économique et médiatique annonçant les affairistes de l’avenir : il tient la dragée haute aux gouvernements et au haut État-Major, et il peut même s'acheter à bon compte la complicité de l'Église catholique. En tant que symbole d'un système économique où les faibles sont impitoyablement écrasés par le talon de fer des riches, il est odieux et répugnant. Mais il n'en possède pas moins des qualités exceptionnelles, une intuition, une lucidité en affaires et une force d'âme, qui peuvent susciter l'admiration des spectateurs, notamment dans les deux scènes avec Phinck et Gruggh, petits escrocs sans envergure. Et Mirbeau, qui refuse tout manichéisme, reconnaît que ce prédateur, idéaliste à sa façon, est tourné vers l'avenir et n'en contribue pas moins au développement des forces productives, alors que le marquis de Porcellet représente une classe parasitaire engluée dans des traditions surannées, et qui tente dérisoirement de justifier son prestige terni au nom d'un honneur qui n'est qu'hypocrisie.
Comme le signifie le titre, devenu proverbial, l’argent exclut la pitié, le sentiment et la morale, et se suffit à lui-même. Dans un monde où triomphe le mercantilisme et où tout est à vendre et a une valeur marchande, sa puissance dévastatrice contribue à tout corrompre : les intelligences aussi bien que les cœurs et les institutions. Les affaires, qui permettent à des aventuriers sans foi ni loi, tel Isidore Lechat, d'accumuler, en toute impunité, des millions volés sur le dos des plus faibles et des plus pauvres, ne sont jamais que du gangstérisme légalisé. La démystification n’a rien perdu de sa force ni de son actualité, comme l'ont révélé les 400 représentations lors de la reprise de la pièce en 1994-1995 : nombre de spectateurs croyaient y voir des allusions à l'actualité du moment.
L’amour et la mort
Mais la libido dominandi d’Isidore Lechat se révèle impuissante face à la mort — son fils bien-aimé, Xavier, pourri par l’argent paternel, se tue dans un accident d’automobile à 55 km/h — et face à l’amour, qui pousse sa fille Germaine à refuser le « beau » mariage qu’il lui a concocté.
Néanmoins, au dénouement — souvent qualifié de shakespearien —, le père accablé et humilié, qui croyait avoir « tout perdu », parvient à se ressaisir pour conclure brillamment une affaire en cours et écraser les deux ingénieurs qui entendaient mettre à profit sa douleur pour l’escroquer : les affaires sont décidément les affaires…
une première fois, aux États-Unis et en anglais, par Otis Turner, en 1915, sous le titre de Business is business, sur un scénario de Frank McGrew Willis, qui est une libre adaptation de la pièce, avec Nat C. Goodwin dans le rôle principal ;