L’expression « Françafrique », généralement connotée péjorativement, désigne une relation, qualifiée de néo-coloniale par ses détracteurs, entre la France et d'anciennes colonies en Afrique subsaharienne sur les plans économiques, monétaires, diplomatiques ou militaires. Consacrée par son utilisation régulière par les grands médias comme Le Monde, Libération, Les Échos ou L'Express, elle a été déclinée en plusieurs composantes, comme la « Françalgérie » dans le cas de l'Algérie[1].
Initialement utilisé par des intellectuels français pour défendre l'idée que la puissance française après la Seconde Guerre mondiale devrait s'appuyer sur une forme renouvelée de son empire colonial en Afrique[2], le terme est devenu par la suite un concept d'analyse critique de la politique française sur le continent, avec la complicité des élites locales, à la suite des travaux de François-Xavier Verschave et de l'association Survie.
Définition
Origine de l'expression
Contrairement à plusieurs récits attribuant la paternité à l'expression « France-Afrique » utilisée par le président ivoirien Félix Houphouët-Boigny[3], le terme a en fait été utilisé pour la première fois par le journaliste français Jean Piot dans le journal L'Aurore le d'abord, où « la cohésion du bloc France-Afrique » est présentée comme fondamental à la puissance française, puis le 15 août 1945 où le journaliste propose la création d'un système comparable au Commonwealth du Royaume-Uni avec ses anciennes colonies, qu'il propose d'appeler « Françafrique ». Le journaliste Thomas Deltombe, qui a révélé cette généalogie dans le livre L'Empire qui ne veut pas mourir - une histoire de la Françafrique[2] indique aussi la « co-paternité » du député français Jacques Bardoux qui défend d'abord dans l'Événement le 20 novembre 1954 puis à d'autres occasions « la France-Afrique » comme aspect important de la puissance française.
Le néologisme est repris et popularisé dans un sens péjoratif au moment où le groupe pétrolier français Elf Aquitaine élargit « son influence à une grande partie de l'Afrique noire, donnant corps au concept de « Françafrique » »[4], sous la direction de Pierre Guillaumat, PDG de 1966 à 1977, après avoir dirigé dès 1962 l'Union générale des pétroles (UGP) puis l'Entreprise de recherches et d'activités pétrolières (ERAP), fusionnés dans Elf, dont un autre PDG, Loïk Le Floch-Prigent, soulignera qu'elle fut créé de manière à disposer « d'une sorte d'officine de renseignement dans les pays pétroliers, Guillaumat étant un ancien des services secrets »[5]. Françafrique devient alors synonyme de scandales financiers, repérés autour d'Omar Bongo, « doyen » des chefs d'État africains, au pouvoir depuis 1967[6], dans le petit État pétrolier du Gabon, qui s'étendent ensuite à d'autres pays[4].
Le terme est utilisé notamment dans le journal Billets d'Afrique et d'ailleurs de l'association Survie dès 1994 ou dans le livre La Françafrique, le plus long scandale de la République de François-Xavier Verschave[7] qui dirige l'association de 1995 à 2005, comme concept d'analyse critique du système mis en place par l'État français pour garder la mainmise sur ses anciennes colonies. Dans cet ouvrage, postérieurement complété par Noir silence : qui arrêtera la Françafrique ? (2000), Verschave décrit un système caractérisé par des pratiques de soutien aux dictatures, de coups d'État et d'assassinats politiques mais aussi de détournements de fonds et de financement illégal de partis politiques, France-Afrique signifiant selon lui « France-à-fric ».
La « Françafrique » décrit ainsi « un système politico-financier opaque et lucratif », selon Alternatives économiques[8] et « la diplomatie de l'ombre entre la France et ses anciennes colonies africaines » mise en place de manière non-officielle, « au lendemain des décolonisations » sous forme de « réseau important », identifié dans quatre affaires emblématiques : l'affaire des diamants de Bokassa, l'affaire Carrefour du développement (subventions détournées), l'affaire Elf (commissions pétrolières) et l'Angolagate (1990, vente d'armes interdite par l'homme d'affaires Pierre Falcone), liste Le Monde[9].
Le « système de la Françafrique » présente, à des degrés divers selon les pays concernés, les caractéristiques suivantes :
une politique étrangère française qui ne relève pas du ministère des Affaires étrangères mais de la cellule africaine de l'Élysée, sur un mode discrétionnaire et largement occulte[réf. nécessaire] ;
une présence très importante de fonctionnaires français ou d'attachés techniques (AT) dans les pays africains concernés [réf. nécessaire] ;
une ingérence, y compris militaire, dans les affaires intérieures des pays concernés (défense ou renversement d'un gouvernement) [réf. nécessaire] ;
des liens financiers occultes entre le régime du pays et les partis politiques français. Ces liens financiers concernent la corruption des élites politiques africaines par les classes dirigeantes françaises[réf. nécessaire].
La simple pratique de rétrocommissions pour alimenter la classe politique française n'est pas considérée comme relevant de la « Françafrique » concernant les financements issus des pays du Golfe[10],[11] ou de Taïwan[12].
Concernant le Rwanda, l'expression n’apparaît que dans une tribune dans Libération du , de Raphaël Glucksmann, stigmatisant le « fiasco moral et géopolitique de la Françafrique » et qualifiant Pierre Péan, alors décédé, du « plus actif des révisionnistes »[13].
Cette politique, dont Verschave dénonce la constance depuis les indépendances africaines des années 1960, a pour but de défendre les intérêts français sur le plan stratégique (bases militaires notamment) et économique (accès des multinationales françaises aux ressources naturelles et stratégiques : pétrole, uranium, etc.)[14],[15].
L'espace « françafricain »
Afrique francophone. Population de 363 millions en 2013[16]. Population prévue entre 785 millions[17] et 814 millions[16] en 2050[18],[19].
Pays considérés comme francophones
Pays non francophones mais membres ou Observateurs de l'OIF
Les pays considérés comme appartenant a priori à la « Françafrique » sont les anciennes colonies françaises en Afrique subsaharienne, à savoir :
Des pays comme la République démocratique du Congo, le Burundi et le Rwanda sont francophones mais sont d'anciennes colonies belges où l'influence de la France n'est pas prépondérante.
Les pays concernés le sont à des degrés divers. Ainsi, des États considérés par certains comme des dictatures pétrolières, tels que le Gabon ou la République du Congo, apparaissent comme des caricatures de la Françafrique tant les liens paraissent étroits entre leurs dirigeants et les autorités françaises et compte tenu de la place prépondérante qu'occupe TotalEnergies (anciennement Elf) dans l'économie de ces pays. D'autres régimes autoritaires sont également concernés au premier chef comme le Togo, le Burkina Faso, le Cameroun, Djibouti, le Tchad, ou encore la République centrafricaine.
En revanche, certaines anciennes colonies françaises comme la Côte d'Ivoire, le Mali, la Guinée, le Burkina Faso, etc. ont eu dans le passé des périodes de relations difficiles voire conflictuelles avec la France.
Historique
Présidence de Charles de Gaulle
Après son retour au pouvoir en 1958, le président de la République, Charles de Gaulle, accorde leur indépendance aux anciennes colonies africaines de la France, qui ont, jusqu'en 1960, le statut d'États membres de la Communauté française. L’Algérie, qui a jusqu'en 1962 un statut départemental, constitue un cas à part dans son accès à l'indépendance.
Afin de coordonner les relations particulières entre la France et ses anciennes colonies, de Gaulle charge un de ses proches, Jacques Foccart, des « affaires africaines et malgaches ». Nommé Secrétaire général de l'éphémère Communauté, il dépend du seul Général, et le Quai d'Orsay ainsi que le ministère de la Coopération doivent composer avec lui[20]. Il fournit des enseignants français aux pays qui manquent d'enseignants à la rentrée des classes, et décide de l'affectation des budgets d'aide au développement[21]. L'aide apportée est protéiforme : le premier chef d'État de la Côte d'Ivoire, Félix Houphouët-Boigny, confie la gestion administrative de sa présidence à d'anciens préfets et gouverneurs français, dotés d'une technicité juridique utile au pays. De même, des centaines de professeurs français enseignent dans les collèges et universités ivoiriens, au titre de la coopération ou de l'assistance technique de substitution[22]. En 1989, ce sont 5 000 coopérants qui sont présents dans les systèmes éducatifs de l'Afrique subsaharienne, « soit vingt-cinq fois plus que la Grande-Bretagne, les États-Unis ou l'Union soviétique, cent fois plus que le Maroc »[22].
Les raisons de la mise en place de ce système de coopération sont multiples. La première est économique : la France garantit des débouchés aux entreprises françaises. Le ministère des Finances du Gabon estime par exemple en 1979 que pour chaque franc dévolu en aide publique au développement, 2,80 francs sont générés au profit du pays[21]. En plus de cela, le système permet de garantir un accès préférentiel aux marchés publics des matières stratégiques du continent (pétrole, uranium, etc.).
Une autre raison est diplomatique et stratégique, car elle vise à maintenir le statut de puissance mondiale acquis par la France après la guerre, grâce à des pays alliés, notamment pour les votes au sein des institutions internationales, mais aussi pour contenir l’expansion « communiste » sur le continent africain ou « résister » à l'influence américaine grandissante en maintenant des bases militaires garantissant les capacités de projection internationale de l’armée française[21]. Jean Foyer, dans une conférence de presse en 1962, justifie ainsi l'aide française de deux manières : « Nous avons une certaine responsabilité devant l'Histoire », mais aussi : « La politique que nous poursuivons est tout de même l'un des moyens de rayonnement qui restent à la France »[23]. Enfin, il permet d'organiser le financement occulte (mais longtemps légal) de partis politiques français par certains régimes africains.
Officiellement, Jacques Foccart occupe le poste de secrétaire général aux affaires africaines de l'Élysée, un poste modeste qui n'a pas l'éclat d'un portefeuille ministériel. Cependant, pour réaliser ce projet, « son pouvoir est si immense qu'il n'existe aucun équivalent dans la République française », notamment grâce à son accès au chef de l’État qu'il voit tous les jours[24]. Il a la main haute sur tout ce qui touche à l'Afrique : les voyages officiels et officieux, les audiences, la nomination et révocation des ambassadeurs et enfin la supervision de l'action en Afrique du service de renseignement extérieur, le SDECE. Il reste à ce poste de 1960 à 1974.
En février 1964, la France intervient au Gabon pour libérer le président Léon Mba, victime d'un putsch militaire. En août 1968, plusieurs milliers de soldats matent une rébellion visant à faire chuter le président François Tombalbaye[21].
Présidence de Georges Pompidou
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L'aide financière aux anciennes colonies reste importante sous Georges Pompidou. Toutefois, le temps passant, l'aide chute. L'apport net de l'aide publique au développement de la France représentait 1,38 % du PIB des anciennes colonies en 1960, mais chute progressivement à 0,67 % en 1969. Les coopérations sont toujours de 10 000 environ lorsque Pompidou accède à la présidence, soit autant qu'en 1960[21].
Présidence de Valéry Giscard d'Estaing
Le 20 septembre 1979, l'opération Barracuda profite de ce que Jean-Bedel Bokassa est en voyage en Libye pour renverser le pouvoir et instaurer à la place David Dacko, avec la création d'une république qui remplace l'Empire. Entre janvier et avril de la même année, Bokassa avait fait massacrer des enfants dans des prisons pour leur participation à une manifestation contre le pouvoir. Aussi, la France était inquiète du rapprochement entre Bokassa et la Libye[21].
Sous Valéry Giscard d'Estaing, la France apporte un soutien direct ou indirect aux régimes considérés comme modérés et favorables à la France, face à des menaces internes ou externes[21].
Présidence de François Mitterrand
La défense des intérêts français en Afrique, et notamment dans son fameux « pré-carré », a été portée par tous les présidents successifs comme un impératif, François Mitterrand inclus, et s’est maintenue, sous différentes formes et malgré quelques évolutions, jusqu'à la présidence de Nicolas Sarkozy[25].
La présidence de François Mitterrand est marquée par une évolution de la doctrine françafricaine française. Le président Mitterrand annonce changer sa politique diplomatique en subordonnant l'aide publique à la démocratisation des pays africains. En mars 1993, 17 pays francophones ont adopté une Constitution, entériné le multipartisme et procédé à des élections démocratiques. Ainsi, lorsque le général André Kolingba arrive au pouvoir en Centrafrique après un coup d’État en 1983, la France le contraint à organiser des élections libres, qui permettent l'arrivée au pouvoir d'Ange-Félix Patassé[26].
En 1990, à la chute des régimes communistes en Europe, François Mitterrand prononce le discours de La Baule. Alors que les relations de l'Afrique avec le bloc de l'Ouest étaient fondées, dans le contexte de guerre froide, sur la préservation des régimes anti-communistes et la sécurisation des approvisionnements, en général sans réelle considération pour le respect des droits humains et de la démocratie par ces derniers, le discours de La Baule invite les pays d'Afrique à lancer un processus de démocratisation sous peine, dans le cas contraire, d'être privés du soutien du Nord.
Depuis la fin de la guerre froide d’une part, et la réglementation du financement des partis politiques en France d’autre part, les deux dernières dimensions de la Françafrique se sont progressivement effacées au profit de la première, la justification économique, qui reste une préoccupation majeure pour la France et ses multinationales (Total, Areva, Bouygues, Bolloré, etc.).
Présidence de François Hollande
Sous la présidence de François Hollande, les autorités françaises se tiennent à distance des présidents congolais (RDC) Joseph Kabila, congolais Denis Sassou Nguesso et tchadien Idriss Déby, au pouvoir depuis plusieurs décennies ou réélus dans des conditions discutables. Elle s'en rapproche cependant un peu plus tard, notamment du fait de leur soutien à la guerre du Mali (commencée en 2012) et à l'opération Sangaris (2013-2016) en Centrafrique[27].
Présidence d'Emmanuel Macron
Le au Gabon, Emmanuel Macron déclare que l'ère de la « Françafrique » était « révolue » et que la France était désormais un « interlocuteur neutre » sur le continent[28],[29].
Le , la ministre des Affaires étrangères française Catherine Colonna affirme, lors de la présentation devant le Sénat de la politique étrangère du pays en Afrique, que « la France veut rester un partenaire pertinent en Afrique malgré les discours anti-français »[30].
Le 8 novembre 2023, a été présenté à l'Assemblée nationale par Michèle Tabarot et le député du MoDem Bruno Fuchs. un rapport d'information parlementaire sur les relations entre la France et l'Afrique de langue française. Le rapport comporte 175 pages issues de plusieurs dizaines d'audition, parmi lesquelles celles de l'ancien président François Hollande, ainsi que de l'ancien président du Niger Mohamed Bazoum. Le rapport parlementaire appellent donc à plus de cohérence et de respects, ils proposent ainsi de créer un visa spécifique pour les pays d'Afrique de langue française, de rebâtir un corps diplomatique plus vigoureux et plus ouvert aux Français d'origine africaine ou maghrébine. transformer l'Agence Française de Développement en France Partenariat, ou encore remettre la politique africaine de la France au cœur du débat parlementaire. autres recommandations, il y a celle d'enseigner « l’Afrique d’aujourd’hui » dans les écoles françaises, et de développer les études africaines dans les grandes écoles du pays, voire créer un Institut des hautes études sur l’Afrique[31].
La cellule est supprimée par Nicolas Sarkozy, qui la remplace par un conseiller diplomatique Afrique sous l'autorité du conseiller diplomatique. Sous son mandat, le principal inspirateur de la politique africaine de la France est le secrétaire général de la présidence, Claude Guéant, un proche du président ; selon Samuël Foutoyet, la Françafrique perdure alors sous une « forme décomplexée »[33].
Sous François Hollande, arrivé à la présidence de la République en 2012, une cellule africaine de l'Élysée puissante ne sera jamais reconstituée[note 2].
Les services de renseignement
Le SDECE, ancêtre de la DGSE, jouait un rôle important dans la Françafrique. Le rôle de premier plan était tenu par le chef du secteur Afrique, Maurice Robert, qui participait à l'organisation de coups de force français. Il encadre notamment plusieurs interventions du mercenaire Bob Denard, avant d'être écarté du service en 1973. En 1979, il est nommé, à la demande du président gabonais Omar Bongo, qu'il a contribué à installer au pouvoir, ambassadeur de France au Gabon. Il est remercié à l'arrivée au pouvoir de François Mitterrand en 1982[35].
Les intermédiaires officieux
Autour des représentations diplomatiques officielles de la France en Afrique, gravitent des acteurs qui se caractérisent par leur réseau de connaissances personnelles où se côtoient dirigeants politiques, hommes d'affaires, officiers de renseignement, militaires, mercenaires et membres des loges maçonniques[36],[37],[38].
Parmi les intermédiaires officieux les plus actifs de la Françafrique pendant le mandat de Nicolas Sarkozy, on peut citer l'avocat franco-libanais Robert Bourgi, proche de la famille Bongo et de nombreux autres chefs d'État africains et conseiller officieux de Nicolas Sarkozy. De son propre aveu, il aurait joué le rôle d'intermédiaire dans l'éviction du secrétaire d'État à la Coopération Jean-Marie Bockel, dont la volonté affichée de rupture avec la Françafrique avait déplu à un certain nombre de dictateurs historiques du continent[39],[40]. Il a également reconnu à demi-mot avoir obtenu le soutien de la France pour l'élection d'Ali Bongo[note 3], fils de l'ancien président Omar Bongo, à la tête du Gabon en 2009, permettant ainsi la continuation d'un véritable règne dynastique qui dure depuis plus de quarante ans dans ce pays[42]. Le député François Loncle joue un rôle auprès de Laurent Gbagbo, président de la Côte d'Ivoire, qu'il a soutenu pendant plusieurs années, malgré les soupçons de corruption. Les liens entre Laurent Gbagbo et François Loncle, notamment lorsqu'il est président de la commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale, permettent d'occulter une partie de ces pratiques de corruption[43]. On peut également citer un ami proche de Nicolas Sarkozy, connu notamment pour son action d'émissaire officieux en Afrique, le député-maire de Levallois-Perret, Patrick Balkany[44].
La coopération militaire
Les accords militaires français : OTAN en bleu, autres (incluant des pays africains) en olive.
Des accords de défense, signés au moment des indépendances, donnaient le cadre de la coopération militaire entre la France et divers pays africains. Ces mêmes accords empiétaient parfois sur le terrain économique, et pouvaient être complétés par des accords spéciaux, tenus secrets[45].
Par exemple, l'Accord de Défense entre les Gouvernements de la République française, de la République de Côte d'Ivoire, de la République du Dahomey et de la République du Niger du , établit l'installation de forces militaires françaises dans ces trois pays, leurs facilités de circulation et d'utilisation des infrastructures et évoque des « Accords spéciaux » aux termes desquels ces trois pays peuvent demander l'aide de la France en matière de défense. La deuxième annexe de cet accord de Défense, concernant les « matières premières et produits stratégiques » (hydrocarbures, uranium, lithium…), stipule que ces mêmes pays, « pour les besoins de la Défense, réservent par priorité leur vente à la République française après satisfaction des besoins de leur consommation intérieure, et s'approvisionnent par priorité auprès d'elle » et « lorsque les intérêts de la Défense l'exigent, elles limitent ou interdisent leur exportation à destination d'autres pays »[46].
À la suite de l'évolution du contexte sécuritaire en Côte d'Ivoire, les accords de défense sont rénovés en 2012. Ils sont adoptés après vote de l'Assemblée nationale ivoirienne en 2014 : la force Licorne est remplacée le par les forces françaises en Côte d'Ivoire (FFCI)[52].
Le commerce international joue un rôle majeur dans les relations entre la France et les pays africains. Les années 2000 et 2010 se caractérisent toutefois par une réduction des parts de marché de la France dans les pays d'Afrique subsaharienne, passant de 10,1 % à 4,7 %, tandis que la Chine augmentait sa part de 2 % en 1990 à 16 % en 2011. En valeur absolue, les exportations françaises augmentent, passant de 6,3 milliards de dollars en 1990, à 7,7 milliards en 2000 et à 17,5 milliards en 2011[53]. En 2019, les exportations de biens de la France en provenance d'Afrique pesaient 25,9 milliards d'euros, et les importations 26,2 milliards d'euros, causant ainsi un léger déficit commercial du côté français[54]. Le commerce extérieur français en Afrique subsaharienne représente en 2018, 2,6 % du commerce extérieur français total, celui de la zone Franc CFA (souvent vue comme l'épicentre de la Françafrique, eu égard au fait que la majorité des membres de la zone soient des anciennes colonies françaises) représente quant à lui environ 0,6 % du commerce extérieur total[55],[56].
L'objectif du président François Hollande est de doubler les échanges entre la France et les pays africains et il mise sur le rapport sénatorial d'Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires Étrangères, pour rétablir le poids économique de la France en Afrique[57],[58].
AfricaFrance
Le , la France lance l'initiative « AfricaFrance », sous la forme d'une fondation dirigée par Lionel Zinsou et soutenue par le Quai d'Orsay et le Medef International pour perpétuer les relations économiques entre la France et l'Afrique[59].
Multinationales
Les multinationales françaises opèrent dans un grand nombre de pays du monde, dont dans des pays africains. Dans les années 1990, le groupe Bolloré profite des privatisations imposées aux pays africains par les institutions financières internationales pour s'étendre sur le continent. Il obtient ainsi, en 1995, la Société internationale de transport africain par rail (Sitarail), et en 1999 la Camrail, compagnie ferroviaire du Cameroun. En cinq ans, le groupe obtient la gestion de plusieurs terminaux à conteneurs mis en concession : Douala (Cameroun), Abidjan (Côte d’Ivoire), Cotonou (Bénin), Tema (Ghana), Tincan (Nigeria) et Pointe-Noire (Congo)[60].
Le directeur général du groupe, Gilles Alix, indique en 2008 au sujet des relations entre le groupe et les dirigeants africains que « Les ministres, on les connaît tous là-bas. Ce sont des amis. Alors, de temps en temps — je vais être clair —, on leur donne, quand ils ne sont plus ministres, la possibilité de devenir administrateurs d’une de nos filiales. C’est pour leur sauver la face. Et puis on sait qu’un jour, ils peuvent redevenir ministres[60].
Des entreprises associées au groupe Bolloré ont été mises en cause par l'ONU pour leur « exploitation illégale » de ressources naturelles, dont en particulier le colombo-tantalite, dans certaines régions d'Afrique, dont le commerce nourrit le trafic d’armes. Dans un rapport d'avril 2001, l'ONU indique que SDV, filiale à 100 % du groupe Bolloré, figure « parmi les principaux maillons de ce réseau d’exploitation et de poursuite de la guerre. Des milliers de tonnes de colombo-tantalite ont ainsi été chargées à partir de Kigali ou ont transité par le port de mer de Dar es-Salaam ». Un rapport de 2002 place SDV sur la liste des entreprises qui « violent les principes directeurs de l’Organisation de coopération et de développement économiques [OCDE] à l’intention des entreprises multinationales »[60].
Le franc CFA et le franc comorien
Le franc CFA était une monnaie utilisée par plusieurs pays africains, dont la conversion en euros était garantie par le Trésor public public français. La monnaie cristallise les critiques liées à la relation entre la France et l'Afrique, de telle sorte que le 21 décembre 2019, Emmanuel Macron et Alassane Ouattara annoncent à Abidjan l'hypothèse de la disparition de cette monnaie. Le président français déclare « J’ai entendu les critiques, je vois votre jeunesse qui nous reproche de continuer une relation qu’elle juge postcoloniale. Donc, rompons les amarres » ; le chef d'État ivoirien précise que cette décision « historique » a été « prise en toute souveraineté. Elle prend en compte notre volonté de construire notre futur de manière responsable »[61].
L'entreprise d'extraction et de distribution pétrolière Elf-Aquitaine est impliquée dans de nombreuses affaires médiatiques comme l'affaire des avions renifleurs au début des années 1980. Ce que l'on nomme l'« affaire Elf » est une vaste et longue affaire politico-financière qui éclate en 1994, à la suite d'une enquête de la commission des opérations boursières (aujourd'hui AMF) sur le financement de l'entreprise textile Bidermann par Elf entre 1989 et 1993. L'instruction de la juge Eva Joly va rapidement mettre au jour un impressionnant réseau de corruption, mettant en cause des personnalités politiques et des grands patrons. L'entreprise, basée en France, est devenue au fil des fusions un géant du pétrole et aurait bénéficié de la bienveillance de l'exécutif français qui considère l'approvisionnement en pétrole comme un domaine stratégique.
Affaire des biens mal acquis
Les « biens mal acquis » concernent des activités délictuelles ou criminelles qui ont permis à des dirigeants africains un enrichissement que leurs revenus ne peuvent justifier. Ils sont le résultat de détournements de fonds, de vols ou de transferts illicites d’argent public entre les comptes nationaux et les comptes personnels des intéressés, de la corruption et de l’octroi de rétrocommissions. Les auteurs des infractions utilisent souvent les mécanismes d’évaporation des capitaux, garante d’impunité, grâce notamment aux paradis fiscaux et judiciaires et à la complicité de pays développés.
Une étude du Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD), publiée en mars 2007[63], évalue entre 100 et 180 milliards de dollars les avoirs détournés par des dirigeants au cours des dernières décennies. Ainsi Mobutu, dirigeant du Zaïre de 1965 à 1997, avait une fortune personnelle estimée à sa mort en 1997 entre 5 et 6 milliards de dollars, et a laissé à l’État une dette publique de 13 milliards.
En France, après les mobilisations des associations Survie et Sherpa, soutenues par des organisations de la société civile congolaise et gabonaise, une plainte est déposée en décembre 2008 par l’ONG Transparency International[64]. Elle vise les conditions d’acquisition d’un important patrimoine immobilier et mobilier en France par trois chefs d’État africains, Denis Sassou Nguesso du Congo, Teodoro Obiang de Guinée équatoriale et le défunt chef d’État gabonais Omar Bongo, ainsi que par certains de leurs proches. D’après l’ONG, le patrimoine immobilier des trois chefs d’État en France s’élève à 160 millions d’euros. Le clan Bongo possèderait, à lui seul, une trentaine de luxueux appartements ou maisons.
Cette plainte est jugée irrecevable par la chambre d’instruction de la Cour d'Appel de Paris, bloquant par là l’enquête voulue par la doyenne des juges du pôle financier de Paris, Françoise Desset, estimant que le plaignant n’avait juridiquement pas d’intérêt à agir. Pour Transparency International, « il n’y a aucun doute sur le fait que ce patrimoine n’a pu être constitué grâce aux seuls salaires et émoluments de ces chefs d’État au sujet desquels il existe de sérieuses présomptions de détournements de fonds publics ».
Rivalités étrangères
Les États-Unis
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Au début des années 2000, des câbles diplomatiques révélés par WikiLeaks, confirment que les États-Unis projettent d'étendre leur influence en Afrique, en prenant en quelque sorte la place privilégiée que la France avait avec ses anciennes colonies, si jamais celle-ci devait se retirer[66]. Les États-Unis veulent cependant conserver une forme de coopération avec la France en Afrique, sur le sujet du terrorisme notamment.
Le Royaume-Uni
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La forte croissance économique de la Chine la conduit à chercher à sécuriser ses approvisionnements en matières premières[67]. La politique chinoise, qui jusqu'à présent était celle d'une aide ciblée sur les « pays frères » dans le cadre du tiers-mondisme, devient celle de partenariats économiques profonds et d'aide au développement importante[67]. La Chine est, en 2011, le troisième plus grand partenaire économique du continent, après les États-Unis et la France[67].
L'aide chinoise au développement a également une particularité. La Chine ne débloque pas de crédits pour la construction d'un bâtiment mais le bâtit elle-même. Elle fait venir la main-d'œuvre et le matériel de Chine et ses projets ne contribuent donc pas au développement local pendant leur phase de construction par l'apport de devises.
En 2013, les échanges commerciaux sino-africains ont pour la première fois dépassé les 200 milliards de dollars, confortant la Chine en tant que premier partenaire commercial de l'Afrique, une position qu'elle tient depuis 2009 au détriment des États-Unis et de l'Europe ; les investissements directs de la Chine en Afrique ont quant à eux augmenté de 44 % en 2013 ; la Chine cherche ainsi à maîtriser ses approvisionnements en matières premières[68].
L'anthropologue Jean-Pierre Dozon conteste l'expression « Françafrique » car elle réduit selon lui la relation entre la France et ses anciennes colonies africaines à « une sorte d'arrière-cour dans laquelle, certes, n'auraient cessé de tremper quantité de personnages de la Ve République, et [...] qui peut très certainement témoigner de la longue politique néo-coloniale de la France en Afrique, mais qui en étant précisément présentée ainsi, avec ses réseaux et ses hommes d'influence, ne permet pas véritablement de comprendre la place centrale qu'a occupée l'Afrique noire dans le fonctionnement de l'État français contemporain, spécialement depuis l'avènement de la Ve République[69]. »
Manque de singularité de la relation France - Afrique
L'historien Grégor Mathias considère que le concept de Françafrique a pour principal inconvénient de rendre singulière la relation entre l'Afrique et la France, quand les mêmes méthodes sont utilisées par les anglo-saxons ou les chinois pour s'implanter en Afrique[70]. Laurent Gbagbo écrit ainsi que les relations entre la France et l'Afrique sont proches de celles entretenues entre les États-Unis et l'Afrique ; il crée le terme d'« Atlantafrique »[71].
↑Mais sa conseillère, Hélène le Gal[34], occupe les locaux historiques du 2 rue de l'Élysée.
↑« Au Gabon, la France n'a pas de candidat, mais le candidat de Robert Bourgi, c'est Ali Bongo. Or je suis un ami très écouté de Nicolas Sarkozy. De façon subliminale, l'électeur le comprendra[41]. »
Références
↑Françalgérie, crimes et mensonges d'États. Histoire secrète, de la guerre d'indépendance à la « troisième guerre » d'Algérie, par Lounis Aggoun et Jean-Baptiste Rivoire aux Editions La Découverte en 2004 [1].
↑ a et bAmzat Boukari-Yabara, Thomas Borrel, Benoît Collombat et Thomas Deltombe, L'empire qui ne veut pas mourir : Une histoire de la Françafrique, Paris/61-Lonrai, Seuil / Normandie roto impr., , 1008 p. (ISBN978-2-02-146416-0 et 2-02-146416-4, OCLC1280304681, lire en ligne), « « Françafrique » : le destin méconnu d'un néologismtfe », p. 22
↑« Bulletin de liaison du réseau démographie », Réseau démographique de l'agence universitaire de la francophonie, no 22, (lire en ligne, consulté le )
↑Julian Jackson, De Gaule, Editions du Seuil, 2019 p. 668
↑Tanguy Berthemet, « Les adieux de François Hollande le chef de guerre à l'Afrique », Le Figaro, samedi 14 / dimanche 15 janvier 2017, p. 5 (lire en ligne).
↑Norbert Navarro, « Franc-maçonnerie : la Françafrique sous le maillet », Jeune Afrique, (lire en ligne).
↑Virginie Gomez et Christine Holzbauer, « Les loges, héritières de la «Françafrique» », L'Express, (lire en ligne)
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